J'entends tes pensées - Benedict

J'entends tes pensées

 Esther & Benedict

 

Avril 2020 - Maison Brown-Murphy, La Colonie (île de Vancouver)

Quand elle étend son bras vers l'oreiller d'à côté, Esther ne trouve qu'une place vide et tout juste tiède. Elle doit ouvrir péniblement les paupières à plusieurs reprises pour constater l'absence de celui avec qui elle partage ses nuits depuis maintenant plusieurs mois. La pénombre laisse place aux premières lueur du jour. Dans sa vie d'avant, Esther n'était pas de ceux qui paressaient au lit pendant des heures. A l'heure où tout était calme et où la vie dormait encore, elle enfilait ses baskets et ses écouteurs puis s'en allait à la salle de sport avant d'entamer ses journées interminables. Puis quand l'horreur a commencé, quand Victoria et elle ont rejoint l'aéroport, se sont succédées des nuits incertaines. Des nuits de méfiance, des nuits à garder ses sens en éveil, des nuits à sombrer d'épuisement, pour tout juste une poignée d'heures seulement... Elle n'a (re)découvert l'instant précieux du sommeil serein que depuis récemment.

Si les premières nuits à la Colonie avaient été pleines de doute, aujourd'hui, le temps avait fait ses preuves. Ils avaient désormais un toit, pour toute la famille. Ou plutôt toute sa famille à lui. Esther était tout au plus tolérée par les soeurs de Benedict, pour une raison qui lui échappait...
Ses esprits rassemblés, la jeune femme, toujours emmêlée dans les draps, laisse glisser son regard dans la chambre pour trouver l'origine de ce bruissement de papier discret. Un fin sourire étire ses lèvres quand elle le devine déjà assis à son bureau. La perte de Safe Harbor et leur ralliement à la Colonie n'avaient pas apaisé l'esprit de Benedict, bien au contraire.

Elle ne se lève pas immédiatement, non. Elle repose sa tête sur son oreiller, se tournant vers le bureau pour entrevoir le profil sérieux et concentré de son compagnon. Elle se fait la réflexion qu'elle le trouve beau, assis là, son regard rivés sur des papiers qu'il passe, classe. Elle sait que ce silence n'est que de façade, et que le bruit lui, est dans ses pensées. Elle sait encore que ce qu'il essaye de trier et de ranger, ce ne sont pas les papiers ni les notes sur son bureau, mais le fouillis dans son esprit.

Le pas léger, Esther, le pas de velours d'un chat. La voilà qui glisse en dehors des draps comme un murmure s'échappe des lèvres. Elle s'approche, toujours dans sa tenue de nuit, et dans le dos de Benedict, elle vient doucement et délicatement couvrir les yeux clairs de ce dernier. Elle se penche jusqu'à son oreille pour lui murmurer :

« J'entends tes pensées... Et il fait à peine jour.»

Douce et délicate, la caresse de ses doigts fins qui abandonnent les paupières pour conquérir ses tempes. Ses lèvres viennent doucement déposer un baiser sur la joue légèrement râpeuse. Son regard doux et bienveillant cherche à attraper le sien quand elle indique le bureau.

« Si tu n'arrives pas à les trier et les ranger, alors il y a sans doute un autre moyen de  t'aider à les chasser...» La voilà qui incline légèrement la tête sur le côté, un fin sourire mutin aux lèvres quand le regard de Benedict semble l'interroger. « Je songeais au gymnase...» qu'elle clarifie finalement, ses doigts passant en douceur dans les cheveux de son compagnon, avec tendresse.

J'entends tes pensées

feat. Esther

 

Les yeux dans la nuit, sondent l’obscurité. Bleu d’azur dans l’infini de l’éternité. Le jour trop long à venir, sait se faire désirer. L’attente d’un mouvement, d’un soupire, d’un rayon de soleil au travers des volets fermé. Rien. Rien que la réponse du silence de la nuit largement entamée. Benedict sent le poids de son compagne, sur son bras étendu. Sa douce main sur sa poitrine, elle respire doucement. L’anglais l’observe dans la pénombre, alors qu’elle grogne, légèrement. Un rêve qui l’agite… Sa main vient replacer l’une de ses mèches derrière son oreille. Il sourit, tristement. Quel avenir leur est-il promis ? Que vont-ils devenir, dans cette mégalopole d’un autre monde ? Une ville d’apocalypse. Benedict réfléchit, depuis leur arrivée. Benedict pèse les pour et les contre. Benedict monte des plans dans son esprit, pour mieux les démonter la minute suivante. Cet homme, Archibald, est-il celui qu’il prétend ou s’agit-il là une fois de plus qu’un démon dissimulé derrière un masque de bienveillance ? Plus jamais de combat, plus jamais de pertes inutiles. Plus d’ennemi à abattre… Plus de guerre de cent ans. Benedict observe le visage serein de sa compagne, qui bouge, se tourne et quitte les tendres bras de l’homme. Endormie, toujours. Que doit-il faire pour la mettre en sécurité ? Que doit-il faire pour sauver ses sœurs de ce monde qu’elles ne méritent pas… Et son père ? Combien de temps encore pourra-t-il se rendre utile à la communauté, avant qu’ils ne décident de le sacrifier… L’autre jour encore, il s’est approché de son fils, le visage crispé, son vieux dos douloureux. Combien de temps encore avant que l’idylle de cet Éden ne se dissipe, pour laisser place à l’horreur de ce monde qu’est le leur depuis deux années déjà ?

Les yeux dans la nuit, sondent l’obscurité. Et dans le secret de son esprit, Benedict s’agite. Il pense, réfléchit et élabore d’autres plans. De fuite, de défense. Des plans pour sauver les siens, des plans pour sauver sa communauté. Ce rôle de dirigeant, il ne l’a pas demandé. Son souhait était de se débarrasser d’un dictateur, qu’importe qui prendrait sa place dans leur nouvelle démocratie. Et à trop parler, à trop se rapprocher et s’inquiéter des habitants de l’aéroport, la confiance s’est établie et le vote a été unanime. Benedict, dirigeant de Safe Harbor. Il n’a jamais su faire les choses qu’à moitié, l’ancien avocat, plus encore lorsqu’on lui offrait une confiance aveugle et sans limite. Et encore aujourd’hui, alors qu’il n’est plus dirigeant, il se sent le devoir de protéger ceux qui étaient sous sa charge… et il joue toujours son rôle, malgré lui. Protecteur de Safe Harbor, fantôme d’une communauté nouveau né.

Les yeux dans la nuit, sondent l’obscurité. Le sommeil le fuit, comme terrifié des pensées troublées de son esprit. Benedict soupire, roule et se relève. Les pieds retombent en dehors du lit, sur le sol. Mains sur le rebord du matelas, il ferme les yeux un instant, avant de se relever, de marcher vers le bureau. Il s’assied, tire une feuille de papier, s’empare d’un crayon. « Écris, mon petit prince, pour libérer ton esprit quand il est trop plein » lui rappelait souvent sa mère, alors qu’il n’était encore qu’un petit garçon. Alors c’est ce qu’il fait, Benedict. Il écrit. Il couche sur le papier se idées, ses plans et ses espoirs. Il trace des lignes et un futur possible. Le dirigeant sommeille toujours au fond de lui, sans qu’il ne le désire réellement… Un réflexe, une habitude. Protéger ceux qui ne le peuvent pas eux-mêmes.

Les yeux dans la nuit, sondent les rayons du petit matin. Benedict ne se rend plus compte du temps qui passe, Benedict ne perçoit pas le mouvement des draps dans le lit, derrière lui. Il continue de griffonner sur ses feuilles qui s’amassent. Les ratures, tracées de trais énergiques. Son esprit divague et ne cesse de se contredire, puisqu’il est incapable de posséder tous les paramètres nécessaires à son apaisement. Trop de questions, trop de mouvements entre les synapses. Trop de trop… Il le distingue vaguement, le mouvement dans la chambre, il aperçoit du coin de l’œil la silhouette se relever et glisser sur le sol, jusqu’à lui. Dans son dos.

Les yeux dans le petit jour, il sourit. Les mains, tendres, qui couvrent les yeux de l’homme aux pensées troublées, son souffle qui siffle à son oreille. Il sourit. Instantanément, rien qu’un instant, il oublie son désarroi. Un instant, rien qu’une seconde, plus rien n’existe d’autre que ce souffle contre sa nuque et ces mains froides contre ses yeux. Elles glissent, les mains fines d’Esther, contre sa peau. Et elle dépose un baiser contre sa joue râpeuse. Il doit se raser… mais la barbe pousse à l’instar de son inquiétude. Et enfin, les regards se captent et les sourires s’embrassent. La voix murmure une fois de plus, au creux de son oreille, tentatrice. Benedict hausse des sourcils, un rien interrogateur sur la proposition de sa compagne… et il sourit une fois de plus, mutin, lorsqu’elle le reprend.

- Dommage…

Provocateur, joueur, il capte son regard, prisonnier dans l’océan bleu de son iris. Et sourit plus fort avant de déposer à son tour un baiser sur sa joue.

- S’il n’y a que le gymnase, je m’en contenterai donc.

Le crayon retombe sur le bois du bureau, roule de quelques centimètres avant de se stopper net. L’avocat se relève et se retourne, fait face à Esther. Sa main glisse sur sa joue, dans ses cheveux. Son regard plonge un peu plus dans le sien.

- J’espère seulement que tu es prête à perdre, encore une fois.

Elle n’est pas la seule à savoir jouer…

J'entends tes pensées

 Esther & Benedict

 

Avril 2020 - Maison Brown-Murphy, La Colonie (île de Vancouver)

Son doux visage se pare d'un sourire. Il a toujours les mots, Benedict. Toujours les bons, dans n'importe quelle situation. A l'heure où chacun s'arme de pistolet, de fusil ou encore de couteau, Benedict est de ceux qui s'arment des mots. C'est ce qu'elle a aimé chez lui, avant toute chose. Des mots pour combattre, des mots pour rassurer, des mots pour consoler, des mots pour aimer, des mots pour faire sourire ou encore rougir...

« Dommage...» fait-il mine de soupirer, lorsqu'Esther corrige gentiment ses pensées vagabondes. De ses iris céruléens brillants de malice, il capture le doux et brun regard de biche. A cheval entre la fausse déception et la provocation, Benedict vient pourtant déposer un baiser sur sa joue alors qu'Esther fait mine de lever doucement les yeux au ciel. Dommage... Comme si l'occasion pouvait lui filer entre les doigts... Elle pourrait bien se laisser tenter par l'idée, elle-même, d'ailleurs, s'il n'y avait pas cette petite veilleuse, dans un coin de sa tête, qui lui rappelle son inquiétude des derniers jours... Un fin sourire étire ses lèvres quand l'homme dépose un doux baiser sur sa joue, assurant de nouveau avec une certaine malice mêlée de douceur qu'il saurait se contenter du gymnase. Ses lèvres s'entrouvrent mais aucun son ne sort. Elle s'était promis de lui parler de la frayeur qu'elle avait eu, concernant son retard... Concernant ce que de son côté, elle n'envisageait plus. Mais là, face à lui, à son regard doux et joueur, elle ne sait plus qu'humecter ses lèvres. La main de Benedict vient cajoler sa joue, glisser dans ses cheveux, tandis que le murmure de son prénom meurt sur ses lèvres.

« J’espère seulement que tu es prête à perdre, encore une fois.»

La provocation suffit à la convaincre de ranger sa préoccupation pour plus tard. Le joli regard brun se plisse, brillant d'une soudaine espièglerie, alors que son sourire s'étire plus franchement encore. Elle incline légèrement la tête sur le côté, comme pour accuser ce coup assurément bas et, le rire dans la voix, elle se mordille la lèvre.

« Perdre encore une fois, hm ? » répète-elle alors que ses doigts délicats viennent soudain punir son compagnon d'un petit pincement sur les flancs, sans que son regard n'échappe au sien. « C'est ce que nous verrons... J'ai un excellent professeur......» Un nouveau pincement de lèvres en lui glissant une nouvelle oeillade espiègle en remontant son index tendu sur le torse de Benedict. « ...et au moins un moyen de pression ! »

Douce et délicate, la caresse de ses doigts fins, encore, qui viennent chérir ce visage fatigué et pourtant souriant.