Wandering stars

Les yeux grands fermés. Le coeur à moitié dévoré. Elle était loin, Emy. Loin dans sa tête. Loin dans son esprit. Les pensées intrusives pour parasiter son ciel. Les visages des disparus défilaient en boucle. Terry, Hunter, Jason, Nancy. Les visages des laissés derrière qui s’incrustaient. Elijah, Logan, Jamie, Oscar, Joakim. Et quand sa fatigue prenait toute la place, quand ses pensées s'obscurcissaient, c’était là où la peur s'insinuait. En pointe, d’abord. L’insigne aux néons explosés. Le bruit de la fermeture éclair qui cédait. Puis ça émergeait. Le coeur qui battait vite, qui battait fort. Boum Boum. Danger immédiat. Plongeon imminent dans les souvenirs bouillants. Mais pas cette fois. Pas cette nuit-là.

Parce que ça bougeait entre les lits. La silhouette délicate d’Hannah qui retrouvait le lit de Rafael. Distraction assurée, et Emy sentait les vagues d’anxiété s’amenuiser un peu. Un rien. Le drap s’agitait sous les corps aimantés, et elle se mordait la joue pour ne pas ricaner, la gamine. Immature sur plein d'aspects. Surtout celui-là, qui lui faisait peur autant qu’il la fascinait. Roulée sur le ventre, petite furie, à chercher un regard de connivence auprès de Noah. Il avait vu? Il dormait…? Dans le doute… Dans le doute, elle se faufilait hors de sa couverture. Le froid mordant qui pinçait la peau, là où son vieux hoddie des Flames de Calgary ne la couvrait pas. Ses bottines en cuir usé dans les mains, son sac à dos dans l’autre. S’avancer sans bruit jusqu’au lit de Noah, capuche sur la tête comme une petite voleuse. « Noah… Réveille-toi. Prends tes bottes, je t’attends dehors. »

Sautée dans son jeans trop grand, la gamine. La ceinture en double tour sur sa taille brindille. Les Dr. Martens usés à la corde dans les pieds, et le sac à dos aux épaules. Prête à fuguer. Prête à visiter Babylon by Night. Ça lui avait pris une poignée de minutes pour se préparer, le temps que Noah arrive, les yeux marqués d’une nuit écourtée. « Je pense qu’il fera jour dans quelques heures à peine. Elijah… C’est Elijah qui m’avait montré. Tu l’adorerais comme je l’aime, je suis certaine. » Un amour démesuré pour l’astronome. Un amour platonique qui ne connaissait aucune limite. Son regard sur Noah, un instant. À se demander si ce qu’elle éprouvait pour lui était similaire. Ou différent. Ou un peu les deux en même temps. Des questions trop grandes pour elle, toute petite Emy. Des questions qu’on devait éviter de se poser après minuit.

« Y’a une vieille grange pas loin, qui abrite les moutons… On verra peut-être des aurores boréales si on se met sur le toit? » Elle plantait ses mains dans ses poches, quand un frisson la traversait. Sa fascination pour les toits, pour les étoiles, pour l’infiniment grand et l’infiniment petit. C’était Eli, tout ça. Ou c’était peut-être en elle depuis toujours, seulement mis de l’avant par son ami qui lui manquait tant. « Si on trouve pas, je te ferai voir des étoiles, promis. » Sourire à moitié esquissé, à moitié dévoré, sa fossette espiègle en figure de proue. Fière de son petit plan, la gamine. Fière de dérober Noah à ses nuits, aussi.
 

Le souffle lent, à profiter enfin d’un sommeil bien mérité. En sécurité, le Lewis. Enfin. Avec sa famille, avec ses proches. Finie la solitude. La sérénité au bout des lèvres pour la nuit, avant que les démons ne refassent surface. Car il est tôt encore. Beaucoup trop tôt. Pour crier victoire, respirer pleinement et savourer un temps nouveau. Il ne rêve que de ça pourtant, Noah. De ne plus se sentir perdre pied et retrouver un quotidien sans sueurs froides. Car ça fait mal, à chaque fois. Quand il y pense.

Sauf que cette nuit, les démons paraissent loin, du moins pour le moment. Au chaud dans ce lit auquel il doit encore s’habituer, dans cette grange où tout son groupe s’est retrouvé, cette nouvelle communauté qui leur promet monts et merveilles. Faut-il encore se méfier ? Toujours. Car la tranquillité n’existe plus. Il faut se méfier de tout, tout le monde. Juste au cas où. Ne pas refaire les mêmes erreurs. Ne pas revivre les mêmes choses. Le traumatisme encore bien présent.

Il sursaute légèrement en entendant une voix bien familière. Emy. Qui le sort de son sommeil. Sans raison pour le moment, juste une demande. Sortir. Et le monde revient à lui. La pénombre, les ronflements, cet environnement qu’il oublie chaque fois qu’il ferme les yeux. Loin de Kelowna. Mais plus en sérénité que là-bas. Il regarde son ombre s’en aller et se surprend à sourire. Là. Tout seul. Personne pour le voir. Serait-il en train de guérir, lentement mais sûrement. Les petits pas d’Emy en guide dans la nuit. Sa bouée, elle aussi, depuis quelques temps. Celle qui lui permet de rester en surface dans les marées. Pour attraper l’air et garder le cap sur l’horizon. Sa survie.

Il hésite un instant avant de se résigner. A quoi bon rester là. Maintenant éveillé, il le sait qu’il ne retrouvera pas le sommeil. La pénombre trop propice aux pensées lugubres. Il attrape alors son jean qu’il enfile à la va-vite en silence. Ne pas réveiller les autres, ne pas déranger ceux qui tentent de se rendre discrets. Les bottes dans une main, son sac dans l’autre. Il ne sait pas où elle l’emmène, Emy, mais il la suivra, peu importe. Et par sécurité ou par habitude, son sac toujours sur le dos.

Il la retrouve, là-dehors. A l’attendre, comme toujours. La mine espiègle, prête à découvrir le monde et le refaçonner à sa manière. Les douleurs en moins. Son sac sur le dos, elle aussi, prête à fuir. Les mots quittent ses lèvres et Noah l’écoute, s’imagine ce garçon qu’il se souvient avoir croisé dans cette Colonie. Le cœur brisé de son Emy alors qu’elle a dû le laisser là-bas, le sien se brisant aussi un peu, de la voir dans cet état. Ce garçon qu’elle se dit aimer et qu’il se surprend à tiquer. Son Emy à lui. Possessif sur ce qu’elle produit en lui, ce qu’elle lui permettre de ressentir à nouveau. Revivre.

Il ne dit rien, se contente de la suivre malgré tout. Les Etats-Unis au fond des souvenirs, il reprend ce qu’elle dit. - Tu penses qu’on peut voir des aurores boréales ici ? Les pieds sur terres, le Noah. A vouloir rêver sans toujours y parvenir, car les cauchemars sont si proches. Sans vouloir détruire les espoirs de son Emy mais sans pouvoir s’empêcher de remettre les choses au centre. - Mais allons sur le toit, oui, au pire on regardera simplement les étoiles… et refaire le monde. Repenser ce qui les attend. S’imaginer un avenir meilleur et loin de tout ce qu’ils ont perdu et détruit. Le sourire d’Emy en cap. Son unique but en ce moment. Lui retourner son bonheur.

Il la voit frissonner, durant un temps qui ne semble qu’une seconde. Sans une once d’hésitation, sa main se tend vers elle, attrape la sienne pour la réchauffer et filer vers cette fameuse grange. Emy et Noah. Noah et Emy. Des promesses au creux des iris et des envies en cascade. L’envie de renaître et laisser tout derrière eux. Les peines, les pleurs, les douleurs, les horreurs. L’envie de mieux, l’envie de plus, l’envie de vivre. Ou revivre pour ne plus simplement survivre.

Le sourire naissant au coin des lèvres, habitude reprise avec elle, seulement avec elle, depuis le départ de Kelowna. Un pas en avant, un échelon vers le haut. Le bonheur encore loin mais un peu plus près. Il la tire vers cette fameuse bâtisse qu’elle lui a décrit. Les bêtes en fond, dans le calme. Il aperçoit les sentinelles, leur fait un signe de tête avant de filer avec la lionne. Grimper, se hisser, l’aider à monter, pour s’installer tout là-haut. Toujours plus près des étoiles, de l’infini et des promesses.

Et puis le regard qui cherche le sien, relâche sa main pour s’installer. Ne pas glisser surtout, ne pas chercher le bord, ne pas chuter, ne pas retrouver des travers laissés derrière. Ici on est haut. Ici on y reste, c’est tout. Plus près du bonheur. Les nuages loin, là-haut et dans la tête. - T’as raison… C’est beau… Je me sens petit. Si petit face à l’immensité d’un monde inatteignable. Plein de promesses. Et il sourit une dernière fois, franche et solaire. Ça fait du bien, là. Avec toi.

Le minois sur le côté. Juste quelques secondes. Une poignée de secondes. À peine. À se dire qu’il avait le sourire en berne à la sortie du lit. Que c’était sa faute, aussi. Le sommeil en denrée précieuse depuis que le monde avait changé. Le sommeil convoité pour des survivants à la survie angoissée. Et elle, mutine, le sourire croqué et le plan dévoilé, se rendait bien compte de ses sourcils froncés devant ce qui les attendait. Les aurores boréales d’Elijah. Les constellations, sinon. Comme un nuage, sur son visage, à Noah. C’était passé aussitôt. Et la gamine pivotait, reprenait son chemin sans rien oser dire ni commenter. Juste lui pour marcher à sa hauteur, voler sa main pour la garder captive de la sienne.

Et ses questions s’envolaient, à la petite chipie. Une affection sans limite ou une amitié démesurée, nobody cares. Juste sa chaleur sur sa froideur. Juste sa main qui l’entraînait vers la grange. Juste une question un peu naïve, un peu candide, qui ramenait la petite furie sur terre. « Il parait que ça se voit tout au long de l’année, mais Eli m’avait dit que l’hiver c’était plus courant. On en avait vu, une fois, à Kelowna, mais on avait dû quitter le centre pour la campagne... » Mais pas d’aurore dans leur ciel, ce soir. Museau en l’air, Emy, à traquer le moindre reflet, la moindre mouvance. Même en grimpant l’échelle étroite. Un peu lente, un peu gauche, obnubilée par le ciel dégagé. La lune presque pleine. Les étoiles vagabondes. Noah pour palier à ses distractions et ses errances. Noah pour l’aider à grimper et prendre ses marques.

…Noah pour la garder près de lui, sur le toit en pente légère. Le regard échangé, et elle s’en voulait un peu, la gamine. De leur première rencontre. J’te tiens. Ses mots marqués au fer rouge dans son imaginaire. Le poids de la honte. Le prix des remords. Est-ce qu’il y pensait encore, à cette journée-là? Est-ce qu’il voyait encore cette inconnue, son amie, à valser si près du gouffre? Ça lui faisait mal…? Elle lui faisait mal? Comme une gêne. Comme un embarras. Les coudes sur ses genoux, la nonchalance d’une cool kid pour dissimuler la fêlure. Juste pour plus sentir sa main sur elle. Juste pour évader son regard vers le ciel immense.

T’as raison… C’est beau… Je me sens petit. Une œillade vers lui, discrète. Juste assez pour dénicher son sourire, pour comprendre son air serein. Et l’angoisse qui lui serrait la poitrine, d’être trop, d’être pas assez, d’être tout court, s’évaporait. Le sourire rendu, enfin. Un silence en flottement pour risquer la question sensible. « Ça te le fait, à toi aussi, dis..? Que t’es tellement petit, dans ces moments-là, que tes problèmes ont plus d’importance? » Exit, la soirée d’enfer de Jonathan Baldwin. Exit, les enseignes aux néons. Exit, l’abandon de Terry. Relégué en arrière plan, la perte de la Lyssa, les scarifications sur ses bras. Juste une gamine stellaire dont on se souviendra plus dans trente ans. Juste une petite guerrière qui ferait jamais le poids devant la voie lactée. Ça la rassurait, d’une certaine manière, Emy. Une vie en un battement de coeur, et déjà ça se terminerait. Sa disparition pour garder sous scellées les souffrances traversées.

Et les bonheurs, aussi, qu’elle se disait malgré elle. Son regard noir sur lui. Skywalker. Le sourire qui la réchauffait un peu. Elle s’inclinait, chaton agile, vers son sac un peu plus loin. L’équilibre précaire, mais les doigts rapides, à ramener à Noah le fruit de sa trouvaille. Un joint roulé dans la paume de sa main. « Roulé par le p’tit vieux lui-même. J’avais prévu ça pour te faire sourire et rigoler… Mais j’vois bien que t’en a pas besoin. Tu crois que je te vois pas sourire…? » Sourire de canaille, petite racaille. Mais l’offre restait là, ou bien c’était sa main qu’elle gardait tendue, juste au cas…
 

Les œillades en coin sans que Noah ne s'en aperçoive. Ce sourire, perdu sur son visage, inconsciemment. Ca fait du bien non ? De respirer, à plein nez. Les fantômes loin pour le moment, le temps de reprendre son souffle complètement, jusqu'à la prochaine fois où la respiration se bloquera. Du bien. Pour le moment, c'est tout ce qui compte.

Les yeux rivés sur le ciel, le cœur en fournaise par la toile immense offerte tout là-haut. Gratuitement. Pour passer un peu de baume au cœur, le temps que les blessures se referment. Si petits. Dans un univers si grand. De quoi se dire qu'on est rien finalement. Pas même un grain de poussière dans le grand désert du Sahara. Ca fait relativiser aussi. Notre poids face au poids du monde. Rien du tout. Une foutaise. De quoi faire rire les astres. Deux nigauds le nez en l'air dans un monde parti en fumée.

Et elle lui pose une question, Emy, et Noah baisse la tête un instant, la regarde, avant de retrouver les étoiles. - T'as pas idée... J'me sens tellement insignifiant face à l'univers. Comment deux idiots comme nous pourraient avoir la moindre importance face à l'univers tout entier ? On est rien du tout et je pense que vu ce qu'on est capables de faire, il vaut mieux que ça reste ainsi. Les guerres, la pollution. Tout ça, c'est fini. La Terre libérée de l'emprise Humaine pour repartir de zéro. Se débarrasser des derniers survivants et des virulents et elle pourra se reconstruire. Sans nous.

Mais le temps n'est pas aux pensées pessimistes. Emy et Noah. Noah et Emy. Bien là, tous les deux. A devoir vivre dans ce monde de fou malgré tout. Et comment ? Le cœur en miettes mais bien décidés à recoller les morceaux. Il n'y a pas que du mauvais, n'est-ce pas ? Ne pas recréer les erreurs du passé en espérant que tout aille un jour mieux.

Ca lui a laissé le temps de sortir un présent, à Emy. Un joint, qu'elle lui tend, le sourire taquin au bord des lèvres et un air de défi au coin des yeux. Comme autrefois, dans l'interdit. Les lois si loin pour le faire lutter que déjà il accepte. C'est l'apocalypse, à quoi bon se priver ? - Si c'est Matthew qui l'a roulé, comment refuser ? Sourire toujours pendu aux lèvres, touché par ses paroles, à sa guerrière. Elle a vu un changement chez lui et ça lui donne espoir. L'espoir d'aller mieux, toujours plus. Et de l'emporter dans sa montée. J'te tiens qu'il aurait pu lui répéter.

Il plonge la main dans son sac pour trouver son briquet. Pincement au cœur en reconnaissant les initiales gravées dessus. TF. Théophile Foster. Un prénom qu'il n'avait plus entendu depuis bien des mois. Le regard soudainement sombre face à l'objet entre ses doigts. Le souvenir de Madeline en écho. Théophile était-il seulement au courant de la disparition de sa sœur ? Était-il toujours en vie, lui ? La peine en retour, l'étau qui se resserre. Bordel ça fait mal. Comme une claque en pleine gueule.

Il relève son regard vers Emy, l'œil soudainement plus attristé. - Tu te souviens de ta proposition ? De faire le tri dans nos esprits, éliminer ce qu'il y avait à éliminer ? La parole soudainement plus difficile. - J'crois qu'il serait temps, Emy... L'objet qui roulait entre ses doigts. Souvenir du passé, ancre du mal. De quoi toujours rappeler une vie disparue.

La douceur. Noah la lui offrait. Noah lui permettait de l’être. Douce, Emy. Fragile, aussi. Le droit de retirer son armure. La permission de baisser les armes. Une guerrière dépouillée, dénudée, dévoilée. Sans trembler. La confiance qu’elle lui portait, l’affection qu’elle lui vouait, comme seule sécurité de ne pas perdre pied. Et ça lui suffisait, comme promesse. Étrangement. On est rien du tout et je pense que vu ce qu’on est capables de faire, il faut mieux que ça reste ainsi. Il pensait guerre et pollution. Elle raisonnait pour eux deux. Les deux enfants du chaos, tout ce qu’ils pouvaient faire dans leur colère. Tout ce qu’ils pouvaient défaire dans leur misère. C’était mieux comme ça. Que ça reste comme ça. Deux infiniments petits pour limiter l’incendie qu’ils pouvaient créer ensemble, les mauvais jours, les mauvaises nuits, dans leurs pensées enflammées.

Mais le joint tendu. Toujours. Et Noah fouillait son sac, le sourire lumineux, pour en extirper un briquet. Si beau. Bordel. Si beau, quand les drames le lâchaient un peu. Quand son ciel était dégagé, quand il avait le bonheur à portée. Le coeur serré, Emy. Le souffle coupé. Soufflée. L’impression de descendre trois étages d’un coup, ou de monter trop haut, trop vite. Et Noah s’arrêtait, le zippo entre les doigts. Son regard d’orage et son coeur en outrage. Elle le ressentait, Emy. Happée par le chagrin qu’elle retrouvait dans ses yeux. L’impression d’avoir échoué, en voulant chasser sa déréliction à coup d’impudence.

Tu te souviens de ta proposition ? De faire le tri dans nos esprits, éliminer ce qu’il y avait à éliminer ? …J’crois qu’il serait temps, Emy… La gorge serrée. Elle le regardait sans bouger, longtemps. Trop longtemps. Cinq. Dix. Quinze secondes. Triste à crever par le reflet d’un chagrin qui n’était pourtant pas le sien. « Les fantômes en arrière. Et si on se casse la gueule, on le fera ensemble… » Les mots qu’elle lui avait murmurés. La promesse d’un Eldorado, tant qu’ils le cherchaient ensemble. Son regard planté dans le sien, encore un peu, avant de river son attention sur le briquet qu’il retenait toujours captif. Elle le lui dérobait, la petite chipie. Le fourrer dans son sac encore ouvert sans demander pardon, sans demander la permission. Juste le soustraire à son regard sombre. Juste l’envie de voir revenir les étoiles, dans ses yeux là.

« Là…? Tout de suite? Je peux… J’peux le faire disparaître. T’as pas à assister à ça, si tu préfères pas… Je peux tout détruire, pour toi. » Tout fracasser. Tout briser. Tout renverser. Le Nord catapulté au Sud, le Sud rapatrié au Nord. Sérieuse, la gamine. La bouille atrocement sérieuse, dans sa proposition soudaine. Enterrer ses fantômes après les avoir traqués un à un. Mettre le feu à ses souvenirs qui l’écorchaient encore. Et regarder les flammes ravager le paysage avec une sérénité qui lui avait toujours échappée. Pour lui, elle pouvait tout faire. Pour lui, elle avait ce pouvoir, Emy. Cette force qui lui faisait défaut, quand venait le temps de le faire pour elle-même.
 

Le coeur en orage face à une proposition en suspens. Les yeux passant de cet objet de malheur à l'espoir du regard de son Emy. Aide-moi qu'il criait au fond des iris. Sauve-moi qu'il aurait parfois envie de lui hurler. Parfois des autres, parfois du monde, mais surtout de lui. Agents du chaos, comme elle le pensait sa guerrière. Enfants de malheur, prémisses de dangers et de misères. Capables de tout autant que de rien. Bloqués par leurs peurs, leurs appréhensions mais surtout, leurs pensées. S'imaginant dangereux, se supposant incapables du bien. Et pourtant. Ils se prouvaient mutuellement le contraire constamment. Soudés et crochés l'un à l'autre comme jamais, chacun capables du meilleur comme du pire pour leur bonheur. A faire mal sans jamais se blesser eux. Plus jamais. Pour la vie.

Le briquet disparaît de sa vue, dérobé par Emy. Un vol, suivi de paroles prometteuses. Tout détruire pour lui une promesse sous-entendant tant de choses que Noah ne saisit pas sur le coup. Emy avouant des choses, s'ouvrant enfin à quelqu'un d'autre, montrant qu'elle veut s'accrocher, s'attacher à lui comme à personne d'autre. Sa bouée à lui, sa bouffée d'air à elle. Tous deux liés pour la vie à présent, par la douleur et le passé. Des promesses lors d'un jour qui a tout changé. J'te tiens. Ce qu'il fera autant qu'il le pourra. La tenir pour la surélever, à jamais. Sauver son Emy, des autres et surtout d'elle.

Il la fixe un instant suite à cette promesse, le coeur battant fort, les yeux perdus dans les siens. La langue venant passer sur ses lèvres sèches. Saisi l'occasion, Noah. Elle te propose un semblant de liberté, un début de guérison. Fonce, Noah, fonce. - On détruit tout ? Ensemble ? Car il ne fera plus rien sans elle, plus jamais. Emy et Noah, Noah et Emy, ensembles pour la vie quoi qu'il en coûte.