Another day… in paradise
Hannah & June
Clap-clip-clap C’est la musique des gouttelettes dans la bassine du jardin.
Clip-clap-clipC’est la bruine fine qui tombe au petit matin. Les feuilles nouvelles des arbres croulent sous le poids de la pluie. Elles brillent d’une eau claire. Baignade éphémère. La promesse de printemps en suspend. Ce début de jour est morne. Gris. Avec sa brume qui serpente dans les coteaux ; avec cette humidité à vous pourrir les os ; avec les mots en murmure.
Chut.
L’adorée dort encore. Le corps chaud enroulé dans des couvertures rapiécées, le visage caché par les mèches blanc doré. Repose toi la belle. Reste dans le sommeil. Tu es en sécurité. Je te le promets.
Un baiser posé sur la tête bien défaite, June quitte les lieux.
Devant la porte du dortoir, elle observe le paysage tout autour. Ce matin, la vision est moins enchanteresse que par temps de soleil, mais pourtant auraient-ils pu trouver mieux ? La mère ne le pense pas. Ils sont bien ici. Ils le seront. Le calme apaise leurs âmes. A elle, à sa petite chérie. Des maisonnettes cachées derrière des murs solides. Une vie simple avec des gens bons. C’est ce à quoi ils avaient aspiré. C’est ce dont elle a toujours rêvé depuis que le monde a changé.
« Bonjour June !
-Bonjour Helen ! »
Une femme passe sur le chemin. Elle la salue d’une main agile, d’un sourire franc. Bien vite intégrée Madame Després. June a tout fait pour. C’est une question de survie elle le sait. Alors elle a sorti le grand jeu : un rôle composé juste pour elle, celui de la mère modèle. Douce et aimante, gentille et serviable. Une voisine parfaite. Une recrue de choix. Ils ont été nombreux à arriver en même temps que sa petite famille, de quoi inquiéter les membres de cette communauté. Il faut leur donner une raison de ne pas le regretter. Une raison de les garder.
Alors ils se sont tous bien vite mis au travail. Sa petite Autumn s’occupe des animaux, Peter aide aux travaux, et elle a trouvé sa place dans l’infirmerie du groupe. Les équipements sont sommaires et l’offre limitée, mais au moins ils sont au grand air, et pas dans un aéroport enfermé. Rosa, avec qui elle travaillait à Safe Harbor, est restée à la Colonie. Son nouveau binôme s’appelle Hannah, une jeune femme au sourire d’ange qu’elle a rencontré des mois plus tôt, dans le souvenir flou d’un enfer.
La rouquine est là déjà lorsque June arrive dans l’infirmerie.
« Bon matin à toi aussi. » Qu’elle répond de son plus doux sourire tout en accrochant manteau et écharpe à une patère murale pendant que la douce ferme la porte. A l’intérieur de la petite pièce, il ne fait pas tellement meilleur qu’à l’extérieur, mais la présence de la plus jeune apporte une chaleur bienvenue. La mère pousse un soupire mesuré alors qu’elle se glisse dans une blouse blanche marquant fonction.
«Oui… oui on peut dire ça. » Un petit rire, tout en grâce, accompagne la remarque.
« Mais ce n’est que pour un temps… nous aurons bientôt tous un nouveau chez nous... » Une pensée pour cette petite maisonnette encore en ruines que les Després retapent après leurs heures de travail. Comme ils ne sont que trois, on la leur a proposé. Ils ont accepté. Une bicoque pour le moment, un palais en devenir. Elle a hâte. De pouvoir avoir à nouveau un « chez soi ». Elle a hâte, de savoir au dessus de sa tête et de celles de sa famille un toit.
Mais pour l’instant pas évident pour tous de partager un espace. Encore moins pour les refusés du sommeil comme Hannah et elle. June ne dort jamais bien. Pas depuis la première fois, depuis qu’on lui a retiré une partie d’elle au milieu d’un centre commercial, il y a une vie de ça. Parfois, ce sont des rêves vivants qui l’assaillent, mais le plus souvent, elle ne dort pas, tout simplement. Les yeux ouverts dans le noir à compter les ombres. Le cœur en chapelet pour repousser les assauts démoniaques qui hantent ses échos. Ressac. Depuis qu’elle est ici, June n’a pas vraiment fermé l’œil. Cependant, pour une fois, la faute moins à ses angoisses qu’aux ronflements tonitruants de leurs camarades de chambrée. Comment était-il humainement possible de faire autant de bruits ?
« Je nous ai fait du thé... » dit-elle en sortant de la poche de son imperméable un thermos au métal poli plein de bosses.
« Ça va nous réchauffer ! » Attendant qu’Hannah aille leur trouver deux tasses posées sur une étagère, l’ancienne psychiatre s’approche du bureau sur lequel est ouvert le registre dont elle parcoure du regard les lignes manuscrites.
« Tu as bien avancé déjà... »