In the summer time

In the summer time

feat. Noah

   

18 ans. La majorité. Est-ce que ça a encore une réelle importance, aujourd’hui ? Tout ce qui faisait le monde d’avant semble tellement futile… Un anniversaire, fêter la venue au monde de quelqu’un alors que la mort court par les rues et le monde. Fêter le passage de l’enfance à l’âge adulte… Mais n’es-tu pas déjà adulte, Autumn ? Ne l’es-tu pas devenue déjà bien trop tôt, lorsque l’on t’arrachait à ton enfance ? Dans la cave… dans la chambre rouge… on te l’a volé, ton enfance. Dérobée, déchiquetée. Pas le choix. Dans les cris, les gifles et la haine. Tu n’as pas eu d’enfance… et pourtant tu viens d’atteindre la majorité. Alors, dans l’esprit de tous, tu passes un cap. L’adolescente devient adulte. Dans ta tête, c’est étrange et tu n’as pas l’impression de changer. Tu es toujours toi, et tu l’as toujours été. Tu ne joues plus aux poupées depuis bien longtemps, tu n’imagine plus être une princesse dans son château de bonbons… depuis bien longtemps. Mais c’était ton anniversaire… et vous l’avez fêté quand même. C’était étrange, mais tu as acceptée de jouer la comédie, c’est la tradition. Le gâteau, les cadeaux, les jeux et la fête. Tu as joué le jeu, pour les conventions. Pour maman… Maman était heureuse, le visage habillé d’un sourire solaire. Elle a tout préparé, du mieux qu’elle a pu. Plus dans la grande maison aux petites barrières blanches, où la perfection familiale régnait en maître. Dans cette petite cabane austère et intimiste, tout est différent. Plus de plats en argent, plus de porcelaine précieuse, plus de couverts astiqués tous les samedis matin. Et pourtant, maman a fait une fête, pour sa précieuse petite princesse. C’était important, pour elle, de fêter l’anniversaire de sa fille. De fêter ce passage qu’elle n’attendait plus, autrefois. Et elle était contente, maman. Alors Autumn souriait. Mais papa n’était pas dupe… parce que papa, il sait lire dans le regard d’actrice de sa fille. Il n’a rien dit, pour maman. Et l’anniversaire s’est déroulé, comme prévu. Pour le plus grand bonheur de la mère de famille.

18 ans. Tout est fini, l’anniversaire est passé. Et Autumn peut retrouver sa vie, un quotidien qui lui convient. Tranquille. Plus rythmé par la peur et la course dans les bois, mais par le bêlement incessant des moutons dont elle a la charge. Pourtant, alors qu’elle marche en direction de l’étable, elle a un regard maussade et cette moue triste qu’elle arbore parfois, mettant terriblement mal à l’aise la plupart des habitants de Babylon. La petite au regard triste. Au moins, ça les tient éloigné d’elle… La fille bizarre. La fille qui est toujours toute seule. La fille qui dessine. La fille toujours seule… Ce matin, elle pense à celui qu’elle a laissé derrière elle, à son sauveur. Elle pense à Jason… et se demande s’il est encore en vie. Se souvient-il d’elle, ou son amnésie lui a encore fait oublié des choses ? La petite blonde ressent un manque cruel, de ce grand frère inespéré trop vite perdu. Elle ressent le besoin de lui parler, de se confier, de glisser sa main dans la sienne, pour sentir sa présence rassurante. Quelqu’un qui n’est ni maman, ni papa. Quelqu’un qui ignore son passé, son histoire, qui ne tient pas à le savoir. Et qui tient à elle. Jason lui manque… et c’est cette pensée noire en tête qu’elle parvient à l’étable, ce matin-là, prête à s’occuper des animaux de Babylon. Seulement, ce matin, elle n’est pas livrée à elle-même et va devoir travailler avec quelqu’un d’autre. Un garçon, plus âgé qu’elle d’une dizaine d’années. Elle l’a déjà remarqué, il a un regard qu’elle reconnaît un peu, pour être le sien. Sombre. Triste, parfois. Elle ne le voit pas, alors qu’elle arrive devant le bâtiment et qu’elle entend les moutons qui n’attendent qu’une chose, retrouver leur pâturage pour finir de brouter l’herbe. Aujourd’hui, il faut les emmener sur un nouveau terrain, l’ancien déjà dévoré par les affamés.

*Pourquoi un corbeau ressemble à un grain de sel ?*

Elle hausse un sourcil, lorsqu’elle entend la voix de son compagnon fou, avant qu’il n’apparaisse dans son champ de vision. Elle retient un pouffement, lance un regard alentours. Avant de le regarder dans ses moustaches.

- C’est toi qui as un grain…

La petite blonde regarde le lièvre danser en équilibre sur ses oreilles et espère que son collègue de travail du jour arrivera vite, qu’ils puissent commencer, qu’elle puisse très vite rouvrir son carnet pour dessiner.

In the summer time

feat. Autumn

 

Déjà plus d’un mois qu’ils avaient déposés leurs valises ici. A Babylon. En famille. Une grande famille unie et ayant vécu beaucoup de choses. Beaucoup trop de choses. Trop pour ce que l’humain devrait être capable de subir. Le cœur bien accroché, pour certains plus que d’autres. A dévorer les jours les uns après les autres, apprendre à survivre ensemble. Et aujourd’hui, alors que Kelowna avait disparu, qu’ils avaient migré vers ce lieu bien plus rassurant que cette Colonie où on les avait menés, ils étaient toujours ensemble. Soudés. Car même si le lien n’était pas de sang pour certains, tous restaient de la famille aux yeux de Noah. Car ils étaient venus de loin ensemble, avaient un passé commun, face à des horreurs communes. Et ça, c’était bien tout ce qui pouvait compter pour l’ancien pompier.

Aujourd’hui, il était prévu de déplacer les moutons vers un autre pâturage pour leur offrir à nouveau de quoi se nourrir. Noah avait hâte car il savait que ça lui tiendrait l’esprit occupé. Pour ne pas penser aux démons du passé, même si ceux-ci se faisaient moins présents depuis qu’ils étaient arrivés. Le changement d’environnement semblait lui permettre de passer à autre chose. Petit à petit. Un pied après l’autre.

Il était déjà en train de préparer le peu de matériel nécessaire pour effectuer leur tâche du jour en attendant qu’Autumn, sa collègue de mission, arrive. Cette petite que tout le monde traitait comme quelqu’un de différent, avec des regards à la dérobade, des messes basses, ce que Noah ne comprenait pas. Elle avait ce petit quelque chose spécial, certes, mais après avoir vécu l’apocalypse à son âge, comment être celle que tout le monde attendait. Il les avait connus aussi, ces regards, Noah, à Highgate, après son retour. Tous cherchaient cette étincelle dans ses yeux qui indiquait qu’il allait péter les plombs. Devenir cet autre lui prêt à tout casser dans la communauté. Il les avait fuis, les avaient rembarrés. Alors le regard d’Autumn, il ne connaissait par cœur, pour s’y retrouver. Il compatissait et ne cherchait en rien à la ranger au même rang que les autres pouvait le faire.

Il l’entendit d’ailleurs arriver dans son dos et Noah s’apprêtait à la saluer, mais elle parla en premier. C’est toi qui as un grain… Il se retourna assez rapidement et fronça les sourcils. - Pardon ? J’ai un grain ? Elle ne lui faisait pas vraiment face, ce qui rendait sa phrase encore plus bizarre. Mais Noah se sentit piqué durant quelques secondes. Il se savait différent suite à la perte de Madeline, mais de là à se faire insulter, c’était bien quelque chose à laquelle il ne s’attendait pas.

In the summer time

feat. Noah

   

Elle sursaute, la petite poupée blonde, lorsqu’elle entend une voix dans son dos. D’un bond, elle se retourne, le coeur en chamade, et se retrouve nez à nez avec un Noah aux sourcils relevés, semblant piqué au vif. Au début, elle ne comprend pas. Qu’est-ce qu’il lui prend ? Pourquoi est-ce qu’il la regarde comme ça ? A-t-elle un truc sur le visage ? Ou… et elle comprend. Un regard aux alentours, gênée, elle ne retrouve plus son hallucination. Disparue. Le rouge lui monte aux joues, qu’elle sent brûler d’un feu vif de honte. Ses mains se relèvent, s’agitent, nerveuse, le regard affolé et désolé.

- Je, non, je, ce n’est pas, ce n’est pas à toi que je parlais ! Je !!

Stupide, stupide, stupide. Pourquoi a-t-elle répondu à ce stupide lapin à voix haute ? Après tant d’années à s’enfoncer dans la folie de son désespoir, la certitude du détraquement de son cerveau… elle ne lui a jamais adressé la parole. Jamais. Avec une mère comme la sienne, il n’y avait que deux solutions quand à la présence de ce lapin détraqué. Des hallucinations de son cerveau d’enfant traumatisée ou un démon envoyé des enfers. Autumn ne croit pas toujours en l’enfer… ni à Dieu. Parfois, elle prie. Parfois, elle jure… Parfois, elle perçoit des signes. Mais allez savoir pourquoi, elle a toujours su que ce foutu lièvre n’était qu’une projection de son esprit malade. Brisé. Et c’est bien pour cela qu’elle ne lui avait jamais adressé la parole… pour ne pas passer pour une folle. Trop tard, ma grande. Pourquoi diable avoir donc parlé aujourd’hui… Elle s’agit de plus en plus, les joues pivoines.

- Je me parlais à moi-même parce que… enfin… le truc c’est que… tu vois…

Elle bégaye, tente de trouver une explication qui n’est pas la vérité mais qui tient la route, parce que sinon, lui aussi la regardera de travers. Lui qui est un des seuls ici à ne pas encore la dévisager… À lui coller cette étiquette de fille bizarre qui parle toute seule, qui traine toute seule et se tient éloignée de tous les enfants de son âge.

- Enfaite… je voulais pouvoir dessiner un peu tout à l’heure et je me disais qu’on pourrait se poser un moment une fois arrivé au nouveau pâturage, mais je me suis dit que j’avais un grain de penser qu’on aurait le temps, tu vois, c’est pour ça que j’ai dit ça, je me le disais à moi, à voix haute ! Pas à toi, surtout pas à toi !

Bien joué, Autumn… il va te prendre pour une folle. Quelle personne saine dans ce monde se parlerait à elle-même…