finding you back
@Lucy Murphy
Les jointures en fêlures, l’esprit se fissure au rythme des percussions du crayon sur le carnet. Des vagues sans formes, des formes sans force. Le goût amer de l’autodestruction dans le tracé indélicat des traits laissés sans fin. Un visage. Noir. NOIR ET SOMBRE. L’OMBRE NEFASTE D’UNE ENTITÉ VORACE. VORACE. DEVORÉ.
Miss White… MISS WHITE ?? La chance qu’elle y soit. Quelque part. La chance. Qu’elle y soit, parmi ces fantômes qui se prélassent dans le fou du regard. Dans le lac qui s’amplifie.
J’AI… MISS WHITE. J’AI ENCORE PLEURÉ AUJOURD’HUI. Les doigts saignent. Les ongles s’ouvrent. La mine se plante dans la page au point de plier, de souffrir. Une silhouette sous ta plume, remplie à moitié. Au sommet. Un gribouillis. Reflet d’un monde hanté. D’une terre nouvelle. Maison.
MAISON. REFUGE. FAUSSÉ. ETRANGERE. Tu y a pensé, Ferghus. Tu y as pensé au point d’en douter. De retourner le problème jusque sur l'oreiller. De ne savoir qu’en faire. Tu y penses encore. Beaucoup. Mais ça parait toujours… TOUJOURS. Le visage bruni d’un homme qui t’avait élevé. Déclin. Emportant Justice avec lui. DECLIN. Seth Mansfield. Père. Marcus. Sully, depuis la perte de son fils. Les noms qui fondent une liste. Une liste qui te piétine et continue de s'amplifier sans que tu ne puisses la détruire.
« Que ressentez-vous, Ferghus ? » Tes lèvres se serrent. Tes yeux se braquent. Devant toi, assise, dans le salon. Miss White. Son sourire éphémère. Ses boucles californiennes. Comme si rien n’était réel. Idylle. Le zéphyr sifflant dans la crinière, à bord du navire. Toi et Père. Père et toi. Vancouver. La pêche. Les virées. Le golf. La boxe. Les voyages d’affaire en classe business. Mère. Ses plantes. Sa serre. Le domaine. De tout ça, plus rien. Les Protectors. Mansfield. Un abri. Le chalet. Susan. Le lac. Skyler. DE TOUT CA. PLUS. RIEN.
« Rien… Rien… du tout. C’est comme si… le soleil frappait mon visage, mais que… je ne sentais rien. Ni la chaleur. Ni la lumière. » La voix berce et les yeux baignent à nouveau dans l’étendue grise sur la page blanche. Dehors, le vent. Dehors, le ciel. Dehors. Filtré, par la minceur des rideaux. Filtré, par l’utopie forgée de toutes pièces, que tu préfères comme ami. Les plaies mordues, gouttées, pour étancher le sang mêlé au bois du crayon. Tout autour, le soleil se joue de toi. En ombres chinoises contre les murs. Contre le bois. Oubliée, la guitare, derrière le fauteuil de Miss White. Oubliée, Susan. Oubliée en t’acharnant au travail. En redoublant d’efforts, d’échardes, de fatigue infligée pour mieux survivre en terre hostile. Au péril de ta santé, au profit de l'insomnie. Mais. MAIS. SI LOIN. TOUJOURS. Toujours… plus loin. Plus loin d’ici. Vers l’aile Nord. A l’ouest. En dehors. Rentrer tard. Partir tôt. S’enfermer ou s’enfuir.
S’ENFERMER OU BIEN S’ENFUIR.
S’ENFERMER OU BIEN MOURIR.
S’enfermer quand les coups pleuvent à la porte. S’enfuir quand Miss White se soustrait à l’espace qui se divise. Hallucinations gommées à l'unisson en un milliard de grain de poussières. Si épais qu’ils t’étouffent. RESPIRE. RESPIRE. Gorge nouée. Atrophié dans les artères. L’air s’immisce à peine. A PEINE.
S’enfuir.
Fuir comme instinct de survie. Fuir quand on ne peut plus se cacher. Tes semelles claquent, irrégulières, phalanges tachetées sur la poignée.
« Susan… » les lippes murmurent à la silhouette qui te fait face. Appellent. Réclament. La même chevelure mais des perles qui ne posent pas les mêmes questions et ne répondent pas les mêmes réponses. Qui desservent les mêmes silences. Les mots soufflés, les syllabes formant un surnom appartenant au passé. Combien le temps s’est effrité ? Combien d’heurts l'ont écrasé ? QUE. QUE RESTE-IL. D’ELLE. DE TOI. DE VOUS. Des miettes de papier, dans un fragment chancelant de souvenirs. Le collier effleuré, à fleur de peau, mémoire unique d’une époque achevée. Deux têtes surmenées. Paroi cloisonnée. Le tarmac abrasif. Brown embrasé. VAGUE. VIF. HOSTILE.
« Lucy… » Voix hésitante, lourde, regard fuyant. Regard fuguant. Son minois aguerri, la rue, derrière. Le soleil. AUSSI.
Je… je ne ressens rien Miss White. Rien. Mais je préfère ne rien ressentir.« Je… » Muet. Aveugle. Sourd. Etourdi, en apnée, en profondeur. Quelle supplique pourra t’éloigner de ce supplice ? ELLE. ELLE TE DÉTESTE. TOUS. ILS TE HAISSENT. TU LEUR FAIS PEUR. PITIÉ. MONSTRE. MONSTRE, FERGHUS. MONSTRE. Poitrine gorgée, battements aigus, le mariage parfait entre le vent et les toitures. Ce sont toutes ces sons-là que tu entends. Tu n’entends plus. Tu n'y crois pas. Les traits se tendent, paupières soumises, enveloppées sous les paumes bien trop fragiles. FUIR. NOIR. NOIR. NE PLUS. VOIR. La chemise de travers, tu oses enfin accrocher ses perles, dans le flou de tes larmes qui opèrent, sans que la raison ne coopère.
« Ne sois pas en colère… Je t’en supplie… Ne sois pas en colère contre moi… » A l’intérieur, un feu sensoriel. A l’intérieur, les émotions se consument en laissant les cendres lassantes et lassées. Tes pas reculent, le corps s’écarte, juste de quoi la laisser entrer dans ton antre. Peu à peu, la peur reprend le pouvoir.
Rejet. ABANDON. ABANDONNÉ. Enfant. Ferghus. Rien qu’un enfant écervelé.Je préfère ne rien ressentir, Miss White... Rien du tout. Comme le néant d’un cosmos, ou les sonorités d’un espace.