Zahra Fraser

2014, Nanaimo : L'enfance de Zahra a commencé sous des cieux tranquilles, comme celle de milliers d'enfants à travers le monde. Unique enfant du couple Fraser, elle connaît crèche et nounou avant son entrée à l'école pendant que ses parents travaillent, et les soirs et week-ends sont, autant que possible, consacrés à la vie de famille. Les sorties sont basiques et communes à toutes les familles ou presque, qu'il s'agisse de promenades au parc, de visites au zoo ou de soirées cinéma à trois. Famille issue de la classe moyenne, rien ne différencie les Fraser de leurs voisins ou de la plupart des gens.
Les débuts à l'école de Zay rassurent les parents. Elle semble s'y plaire, se faire des amis et s'intégrer comme n'importe quel gamin. Ni trop bavarde, ni trop introvertie, Zahra se montre curieuse et les repas du soir se retrouvent bien vite animés de discussions animées où les questions sont nombreuses. Plus elle apprend, plus Zahra veut en savoir et il arrive à l'occasion que ses parents bottent en touche face à des questions dont ils n'ont pas la réponse, ou si celle-ci n'est pas vraiment de l'âge de leur fille.
Une vie heureuse, tranquille et simple, qui connaît un premier cahot d'importance en janvier 2014, lorsque l'école appelle pour dire que Zahra est malade. S'ils pensent d'abord à une de ces maladies qui courent l'hiver et que les enfants s'échangent entre eux, la situation devient vite alarmante à mesure que sa fièvre augmente. Ils réagissent heureusement à temps pour l'amener aux urgences, ce qui, d'après les médecins, lui sauvera la vie. Même si le diagnostic est rapidement posé, une méningite, l'angoisse ne fait que monter devant la prudence du personnel hospitalier et l'état comateux de Zahra.
Lorsque la petite fille de 8 ans ouvre les yeux une semaine après, c'est pour apercevoir le visage épuisé de ses parents, dont les traits fatigués laissent aussitôt place à un soulagement évident, malgré leurs yeux injectés de sang à cause du manque de sommeil. Zay fronce les sourcils en voyant leurs lèvres remuer sans entendre le son de leurs voix, et essaie de s'asseoir, renversant malencontreusement un plateau-repas sur le sol. Elle voit sa mère sursauter et panique en constatant qu'elle n'a, de son côté, rien entendu. Une batterie d'examens faite dans la foulée détermine qu'elle a perdu en totalité l'usage de l'ouïe et de la parole, rendant la victoire sur la maladie plus amère que prévue.

2015, Nanaimo : Zahra ne s'est pas laissé abattre, et ses parents non plus. Avec une certaine assiduité, ils ont appris à communiquer autrement, participant ensemble à des cours du soir spécialisés dans l'apprentissage de la langue des signes. Imbriqués l'un dans l'autre, la résilience de Zay et l'espoir de ses parents les portent les uns les autres, soudant davantage leurs liens et les aidant à s'adapter à ce nouveau mode de vie. Zahra a changé d'école et s'est fait de nouveaux amis qui communiquent de la même façon qu'elle. A aucun moment elle ne s'est sentie mise à l'écart ou différente malgré sa particularité, qu'elle partage finalement avec ses camarades et enseignants. C'est la même chose pour ses parents, qui trouvent soutien et nouvelles amitiés auprès des parents d'élèves, et la vie a repris rapidement son cours.
C'est en juin 2015 qu'elle connaît un nouveau bouleversement, bien plus dramatique pour Zahra. C'est en attendant que ses parents viennent la chercher à la sortie de l'école qu'elle apprend de son institutrice qu'ils n'arriveront pas, plus jamais. Un accident de voiture a réussi à briser le petit cocon de bonheur que la méningite n'avait pas réussi à détruire, et Zahra doit désormais s'adapter seule.
Sur le plan légal, elle est confiée à sa seule famille restante, sa tante paternelle, qui a tout ce qu'il faut sur le papier pour subvenir aux besoins de sa nièce. Dans les faits, Alison Fraser a travaillé dur pour en arriver là où elle est professionnellement parlant, et n'a jamais voulu d'une vie de famille. Elle aimait son frère bien sûre, appréciait sa belle-soeur et a toujours trouvé sa jeune nièce mignonne et sage. Mais tante et nièce justement, ne se sont vues que deux fois avant de se retrouver obligées de cohabiter ensemble, et ne se connaissent pas. Alison, persuadée que l'argent qu'elle gagne sera suffisant pour combler aux besoins de Zahra ne songe pas un instant à réduire son temps de travail. Elle pourvoit à ses besoins matériels sans songer un instant à la nécessité émotionnelle de sa nièce et Zay s'adapte seule aux changements. Elle prend le bus pour aller en cours et revenir de l'école, dîne le plus souvent seule pendant qu'Alison est en train de boucler un dossier au bureau ou en réunion après une journée de travail déjà chargée et en réalité, elles ne font que se croiser.
Venue vivre chez sa tante dans son grand appartement, Zahra dispose de tout le confort possible et imaginable, a une garde-robe digne d'une princesse et tout un tas de jeux, d'objets et de babioles pour s'occuper, mais sa vie sociale se résume désormais aux moments passés à l'école. Alison n'apprend pas la langue des signes, par manque de temps dit-elle, et pour échanger quelques mots lorsqu'il arrive qu'elles se croisent, Zay prend l'habitude de se promener avec un carnet et un crayon, pour écrire ce qu'elle veut dire.  Pour sa tante, lire un Je m'ennuie écrit par sa nièce dans son calepin signifie l'achat de la console dernier cri avec une panoplie de jeux pour occuper sa nièce et assez vite, Zahra cesse d'essayer de créer un lien. Une cohabitation étrange s'installe entre les deux, faite de courtoisie polie et d'indifférence générale.

2018, île de Vancouver : Zahra colle aux basques de Helen et Randy, qui sont devenus pour elle un point de repère stable, sécurisant et fiable. L'épidémie est arrivée dans sa vie de façon assez soudaine, lui arrachant pour la troisième fois des repères fragiles, bousculant encore une fois sa vie. Malgré sa curiosité générale, Zay s'est toujours tournée vers les livres et ne s'intéressait pas vraiment à la presse écrite ou aux infos télévisées, et c'est presque du jour au lendemain qu'il a fallu quitter l'appartement pour se réfugier dans une zone a priori sécurisée. Si quitter l'appartement d'Alison n'est pour elle pas une réelle difficulté puisqu'elle ne le considère pas vraiment comme un foyer, l'angoisse et la colère latente de tous les inconnus qui l'entourent, la présence d'hommes armés et de barricades soudaines l'inquiète énormément. Elle fait des efforts pour se montrer brave, garde son sourire et ne se plaint pas.
Lorsque les morts envahissent les rues en masse, faisant un nombre effroyables de victimes, la panique générale pousse tout le monde à fuir, et Zahra perd Alison de vue, sans pouvoir la retrouver. Elle se retrouve au milieu d'étrangers, comprend la gravité de la situation et l'importance de rester auprès d'adultes qui savent ce qu'il faut faire. Par chance, elle a toujours son carnet sur elle, et cherche très vite à communiquer ce qui lui semble important. Même si Zay ne s'est jamais sentie proche de sa tante, elle est sa famille et elle la décrit en détails, espérant que quelqu'un l'ait vu. Ce n'est la priorité de personne, tous ont perdus des proches et les disparus sont considérés comme perdus ou morts. Trop risqué de retourner les chercher, du moins c'est ce qu'elle comprend.
Zahra se retrouve bien vite dans le giron d'Helen, qui bien que son fils Randy soit déjà adulte a gardé un instinct maternel très fort. Pour être tout à fait honnête, Zahra n'a aucun mal à se lier avec Helen et son fils, c'est même plus facile qu'avec Alison, ce qui fait culpabiliser la jeune fille. Mais cette mère de substitution se montre tendre, chaleureuse, rassurante et bienveillante, profitant même du moindre moment de répit pour essayer d'apprendre à communiquer par signes avec Zay. Efforts que n'avait jamais consenti sa tante, et l'ambiance pesante agissant sur les nerfs, Zahra apprend vite à vivre au jour le jour. Même si l'avenir est incertain et effrayant, le passé est trop douloureux et sa capacité de résilience lui fait bien vite comprendre que pleurer et attendre un hypothétique retour d'Alison n'est pas la meilleure solution si elle souhaite rester en vie. Sa relation avec Randy est plus en dents de scie. Le jeune adulte de vingt ans fait son maximum pour protéger sa mère et cette gamine silencieuse, et si son côté protecteur est assez rassurant pour Zahra, tous les interdits qu'il fixe amènent son lot de bouderies et d'attitudes bras croisés-sourcils froncés pour exprimer son mécontentement face à l'intransigeance parfois démesurée de ce frère d'adoption.

2020, île de Vancouver : C'est finalement du côté de Brentwood Bay que le petit groupe a cessé de fuir. Avec patience et vaillance, chacun a oeuvré pour apporter un endroit sécurisé où essayer de rebâtir une vie. Seule mineure du groupe, Zahra est couvée et protégée par certains, ignorée par d'autres qui ne prennent même pas la peine de saluer une gamine mutique. Certains prennent sa présence de façon plus négative, arguant qu'elle n'est qu'une bouche inutile vu le peu qu'elle peu offrir, mais Randy et Helen veillent au grain et s'assurent qu'on la laisse tranquille. Si Zay n'est physiquement pas assez forte pour aider à monter des barricades, si elle est trop jeune pour être armée et sortir prendre des risques, la mère et le fils l'éduquent à la survie tout en continuant de l'encourager à sourire. Auprès d'Helen, Zahra apprend à jardiner, à cuisiner et à soigner. Cela reste assez basique mais assez rapidement, l'adolescente est capable de désinfecter une plaie, de faire une suture et un bandage correct. Avec Randy, la jeune fille apprend à reconnaître baies, fruits et champignons comestibles et à pêcher. A l'abri des morts, Zay retrouve une certaine joie de vivre et ses journées sont plutôt douces.
C'est en pleine nuit que son univers est bousculé pour la quatrième fois. Attaqués par une horde qui a trouvé une brèche dans les barricades, leur petit refuge se retrouve submergé. Rapidement dépassés par le nombre, ils perdent de trop précieuses minutes à hésiter entre fuir ou tenter de se battre. Cachée par Helen avec la promesse de ne pas bouger jusqu'à son retour, c'est finalement la faim qui la pousse à sortir des jours plus tard. Zahra a à peine le temps de sortir qu'elle trébuche sur le corps d'Helen, et s'en éloigne rapidement dans un cri silencieux. A l'extérieur de la maison, le chaos est visible partout et Zay ne trouve rien d'autre que des traînées de sang et de la fumée. Son soulagement d'apercevoir la silhouette de Randy est de courte durée lorsqu'il se tourne vers elle, et Zahra ne doit sa survie qu'au fait d'avoir réussi à courir plus vite.
Après avoir erré seule quelques semaines tout en cherchant à mettre en pratique, avec plus ou moins de succès, les enseignements de sa famille d'adoption, Zahra est trouvée, par hasard ou par chance, par d'autres survivants qui l'emmènent avec eux. Au sein de Babylon depuis une petite dizaine de jours, Zay a pu être soignée de sa déshydratation et des petits bobos, heureusement sans trop de gravité pour elle, et essaie désormais de s'adapter à ce nouveau pan de vie. Toujours traumatisée par la mort d'Helen et de Randy, elle reste cependant consciente que personne n'a été épargné et que chacun des visages qu'elle croise cache ses propres démons. Alors elle n'oublie jamais de sourire et essaie d'aider comme elle peut, son carnet toujours à portée de mains.