Ca va chier ! - James Alexander Walsh

"Cat,

J'me casse. Tu m'saoule avec tes fais pas ci, fais pas ça. J'suis plus un gamin, j'ai juste besoin du soutiens de ma soeur. Pas d'une seconde mère, ça n'a jamais été ton rôle, et ça, tu ne l'as jamais compris. Et aujourd'hui, j'te comprend plus.
Tu te souviens de l'Irlande ? Tu te souviens des parents ? De notre famille, de nos complots anti-adultes ? Moi oui. J'me souviens de tout. Et j'ai eu besoin de toi plus d'une fois, après l'accident. Tu as été là... un temps. T'ai-je déçu ? Qu'ai-je fait pour que tu t'éloignes et que tu m'ignores ?

J'me souviens de tout. Du vert de l'Irlande, des bruits de Dublin, du sourire de maman, de l'humour de papa. Et de nos cabanes de coussins, plaids et autres choses dans notre chambre. J'me souviens de la complicité qu'on a pu avoir, j'me souviens d'une famille.
Et pourtant, je n'ai pas été facile. Tu m'connais, mieux que personne. J'étais un gamin survolté, énergique, hyperactif. Je n'ai jamais tenu en place. J'aime être le plaisantin, parce qu'après tout, pourquoi ne pas rire ? Oui, je n'étais pas facile. Qu'est-ce qu'il en a fallut du courage, à papa, à maman. Pour venir à bout de moi, de mes conneries, de mes jeux dangereux. J'm'en suis brisé, des os. Le plâtre, ça me connait. J'suis plutôt doué, avec des béquilles.
On peut dire que j'étais un sale gosse... mais on s'aimait. Et on était une famille.

Jusqu'à ce jour débile. On a tout perdu, tout s'est écroulé. Ces stupides vacances, ce stupide accident de voiture. Il pleuvait, la route était glissante. Et on riait. Papa et moi, on faisait un concours de blagues, comme souvent. Les pneus ont glissés, la route a défilé sous la carrosserie, la voiture a volé dans les arbres.
Tout est allé trop vite. Le bruit sourd dans mes oreilles, s'éteignant lentement, les phares des ambulances au travers d'une brume tournoyante. Et cet instant où je n'entend plus rien... je me souviendrai toujours du dernier cri de maman...
On a tout perdu.
Je suis devenu sourd. Ou presque. Un contre-coup de l'accident, j'ai presque tout perdu de l'oreille gauche, je m'en sors pas trop mal à droite.
Nous étions tout ce qu'il nous restait, toi et moi. Une soeur, un frère. Tu as été là, pour moi, cette fois-ci.

On s'est soutenus, on était là l'un pour l'autre. Et l'enterrement...

Je n'avais que dix ans, toi quatorze. On nous a envoyé au seul parent qu'il nous restait, notre oncle. Le frère de maman. Où ça ? Il aurait été trop facile que ce soit chez nous, en Irlande. Bien évidemment. Nous avons été envoyés au Canada.
Nous sommes retournés à l'école, après quelques semaines. Notre oncle ne savait pas comment s'y prendre, avec nous, il était terriblement maladroit. Et le pauvre, il est tombé sur moi. Fort heureusement pour lui, tu étais là pour me recadrer. Et nous jouions encore, de terribles gamins indisciplinés.

Je portais des appareils. Et immanquablement, les gamins m'ont pris pour cible. Je ne supporte pas qu'on se paye ma tête, tu le sais, j'ai réagis. Et la principale a appelé la maison... pas qu'une fois.
Je me suis renfermé, je devenais violent. Bagarreur. Et les appels continuaient, les rendez-vous avec la principale se sont succédés. Les corps meurtris de bleus des autres parlaient d'eux-mêmes, ceux sur mon propre visage renvoyaient un autre message. En réalité ? Maman et papa me manquaient... je voulais revoir l'Irlande, notre maison, retrouver notre vie. Et ces appareils me rappelaient constamment la dure réalité... Notre famille n'existe plus.
J'avais besoin de toi.
Et tu as changé, soudainement. De cette grande soeur si proche, tu es devenue froide, distante, tellement sérieuse. Tu ne riais plus. Est-ce que notre oncle t'avais demandé de devenir responsable ? De me montrer l'exemple ? Ou t'ai-je déçu d'une quelconque manière ? J'ignore pour quelles raisons tu m'as lâchement abandonné, toi, ma soeur, ma partenaire des quatre-cent coups... mais je t'en veux.
A l'époque aussi, je t'en ai voulu... atrocement. Et j'ai dépassé les bornes, la colère ayant pris mon corps en otage. La principale a rappelé, une ultime fois. J'ai été renvoyé de l'école. Je n'avais que douze ans...

J'avais besoin de toi, mauvaise soeur. Et tu n'étais pas là.

Notre oncle m'a inscrit à un cours de violon, pour me calmer. Ca n'a apparemment pas suffit à me défouler. J'ai commencé la boxe deux ans plus tard, à quatorze ans. Et j'ai pu me défouler, je me suis rattrapé. Pour te convaincre que je valais la peine... que j'avais compris mes erreurs...
Et puis j'ai abandonné, j'ai grandi, j'ai arrêté de vouloir t'impressionner, toi, ma grande soeur que j'admirais.

J'ai trouvé de la maturité là où jamais je ne pensais en trouver. Chez moi. Et finalement, je n'étais pas si con ! Même plutôt intelligent, ou alors était-ce de la facilité aux études ? A voir. Terminé le premier cycle, le second, et arrivé à ce stade fatidique, j'ai dû prendre une décision.
La médecine a été une évidence. J'ai toujours aimé les sciences et plus que tout, je voulais me rendre utile. Et aider les autres. Malgré mon incroyable facilité à être un crétin en toutes circonstances...
J'ai cru entrevoir une fierté dans ton regard, je m'en balançais... ou je voulais m'en convaincre.
J'ai enchainé les études, les nuits blanches et les grosses soirées étudiantes. Faut dire que j'aime ça, faire la fête. Et des conneries. Toujours autant que quand j'étais gosse. Et faut dire aussi que les filles m'aimaient bien, sans que je ne fasse rien pour. Ca m'a toujours fait marrer, sûrement ma façon d'être toujours moi-même, sans aucun voile ? Dans tous les cas, on a fini par m'apprécier. Malgré la différence.

J'ai rencontré Dale. J'ai ressenti des choses, dans ma poitrine, dont j'ignorais l'existence. Lui, il le savait. Nous avons eu une aventure, balbutiante, étrange, un souffle nouveau, un goût d'une toute autre saveur. Tout s'est terminé par ma faute. Je suis un crétin... si en doutes encore. Et là encore, tu n'as rien dit. Je l'ai vu, sur ton visage, tu étais fière que j'assume qui je suis. Mais je suis toujours un crétin.

Les années ont passées et 2017 est arrivée... Nous savons tous ce qu'il s'est passé. Le virus s'est propagé, le monde entier a explosé, les virulents ont envahi le monde. L'Europe d'abord, puis petit à petit, c'est venu à nous.
On a été séparé de notre oncle, très vite. Crois-tu qu'il soit encore en vie ? Je l'espère. Toi et moi, nous nous sommes retrouvés embarqués dans un groupe par l'un de nos voisins. Highgate Community.
Au début, c'était marrant. Puis, les jeux de pouvoir ont commencé. Des affrontements, des morts. Nous devrions nous soutenir, être unis. Mais les vivants sont tellement plus bêtes que nos bons vieux zombies...
J'ignore si je t'ai déçue, ma soeur, mais toi, sois-en sûre, tu m'as déçue. Tu t'es laissée entrainée dans cette guerre. Je refuse de vivre dans un monde où l'on se bat contre nos semblables... Je refuse de participer davantage à ces conflits qui opposent Highgate à l'aéroport. Nous sommes des survivants, nous devons nous soutenir. Et non nous décimer.
Toi, fais ce que tu veux. Mais moi, j'ai trop d'amour propre pour laisser des gens mourir. Je refuse de prendre part à tout ça. J'ai mieux à faire, ailleurs. On aura sûrement plus besoin de moi.

Alors j'me casse. Fais c'que tu veux, vis comme tu veux. Ta conscience ne regarde que toi.

Ton frangin, James."

Le stylo tombe sur la table, le jeune homme observe sa lettre. Et la brûle avec son briquet. Son sac est prêt, il s'en empare et prend ses clics et ses clacs. Laisse la porte ouverte, sort à l'extérieur. Fugue loin de cette communauté dont il a horreur.

Quelques jours plus tard, ses appareils auditifs le lâchent, son coeur battant la chamade de tomber sur des virulents...

James Walsh tombe sur la Lyssa Squad.