"I think I failed, no I did the best I could dear Grace, but is not over" Scott Tremblay [Terminée]

Les flammes crépitaient, l'odeur du souffre se faisait de plus en plus omniprésente, les derniers des tubes d'aluminium virevoltant dans le ciel finirent par s'écraser lourdement sur le sol dans un bruit tonitruant. L'échafaudage fixé à la façade de l'usine avait volé en éclat, laissant un trou béant dans l'immeuble. Le feu se propageait, il crépitait, ondulant avec virulence, teintes rougeâtres et terrifiantes. Une épaisse fumée noirâtre virolerait dans le ciel, un panache visible à des lieux à la ronde sans compter la puissance du bruit de l'explosion. Des cadavres par dizaines, éparpillés ça et là dans la rue alors que certains grouillaient encore, attiré par le bruit de l'incendie, se jetant dans les flammes, torches de feu, consumés et calcinés. La vie n'occupait plus ce lieu de jadis depuis longtemps, les morts dominaient l'endroit depuis l'épidémie et l'apocalypse. Pourtant, sous une pile de débris, un corps, inerte et ensanglanté se réanima, un souffle saccadé, compressé par le poids lui oppressant la cage thoracique. Son regard tinté du bleu ciel était injecté de sang, mais il le regarda cet océan suspendu dans les airs. La douleur était puissante, suffisamment pour arracher un grognement à l'homme étendu là. Difficilement, il tenta de bouger son bras, tirant de toutes ses forces pour le dégager avant de réussir, avant de réitérer avec le reste de son corps, mais là, dans l'impossibilité de se mouvoir il se résigna. Le survivant soupira avant qu'une violente quinte de toux lui rappela la précarité de son état. Détournant la tête sur la gauche, il put constater que le parking de l'usine était vide et, il se contenta de sourire, rassuré de ne plus voir le véhicule qui l'avait conduit ici.

Il déposa l'arrière de son crâne sur le sol froid, dirigeant cette information pendant quelques secondes avant qu'un vague souvenir ne refasse surface. Lentement, il vint tirer la courte manche de sa chemise quadrillée de ses dents et proche de son biceps, il constata une morsure, nette, mais ensanglantée. Un présage de mort à cette époque, mais au lieu d'accepter cette fatalité, l'homme se mit à ricaner douloureusement.

- Dire que j'ai dû faire croire à une morsure de ces saloperies pour que les gosses se décident à s'en aller. Foutre dieu les gamins je vous jure … Disait-il dans un monologue adressé uniquement à sa conscience.

Les enfants en question étaient la nièce et le neveu de ce dernier, acculé dans l'usine par une horde de rôdeurs, l'oncle ne trouva pas d'autres moyens que de faire exploser en partie l'usine pour permettre à ses deux protégés de fuir. Malheureusement, les deux têtes de mules n'étaient guère coopératives sur l'idée d'abandonner le dernier membre de leur famille et il dut se résoudre à cette supercherie, à grand renfort de larmes et de cris. Enfin, il avait atteint son objectif, tout du moins, celui dans l'immédiat, ils étaient sans doute loin désormais et en sécurité, il l'espérait en tout cas.

- J'ai fait ce que j'ai pu Grace … Pardonne moi …

Cette phrase fût prononcée alors que le regard bleuté de l'homme se posa sur un rôdeur se rapprochait inexorablement de lui. Impuissant, il savait son heure sans doute arrivée, il ne pouvait se dégager, ni même se défendre dans cette position, la résignation comme unique linceul de son trépas prochain. Pourtant, en étant son bras sur le sol, du bout de ses doigts, le survivant put sentir quelque chose de froid et métallique. Rapidement il détourna la tête et aperçu son revolver à portée de main. Son cœur s'accéléra, tout n'était peut-être pas perdu, il avait encore une chance de se racheter auprès des siens. Saisissant l'arme avec grande peine, il pointa le canon dans la direction de la mort qui s'avançait vers lui à grands pas.

Un clic, la chambre est vide.

Le cadavre grogna.

Deux clics, la balle n'était pas là.

La charogne claquait ses dents frénétiquement.

Trois clics, le silence comme seule réponse.

Le rôdeur n'était qu'à deux pas.

Quatre clics, la chance était mesquine.

Le cadavre fondit sur sa proie.

Cinq clics, tu t'es faite attendre petite coquine.

La détonation enfin retentit, la bouche du canon cracha son projectile fuselé qui s'en allait traverser de part en part le front et ensuite la nuque du prédateur. Dans une gerbe de sang noirâtre et nauséabond, le corps, pantin désarticulé s'effondra sur une barre de fer fiché sous les débris retenant le tireur. Sous le manque de force, le recule du revolver avait pratiquement démis l'épaule du tireur qui grimaça de douleurs à nouveau. Cependant, il sentit que la pression était devenue moindre sur la partie basse de son corps, sans doute sous l'action du poids du rôdeur faisant office de levier.

Après un énième effort, le prisonnier s'extirpa de sous les décombres, tenant toujours son arme malgré un bras ballant. Ses jambes n'étaient pas touchées, simplement égratignées à de multiples endroits, mais cette victoire n'était qu'un simple suris.

Sans vivre, sans munition et blessé il ne survivrait sans doute pas bien longtemps.

Il lui restait en revanche une volonté d'acier, même si elle l'avait quittée pendant quelques instants, pour son neveu et sa nièce, plus jamais il ne céderait. C'était ainsi que le survivant, se traîna jusqu'à une route, quittant cette zone industrielle de Kelowna, mais ses forces l'abandonnèrent rapidement.

Étendu sur le sol, à quelques centimètres du bitume autrefois grouillant de véhicules de passages, le miraculé voulait se reposer quelques instants, fixant à nouveau le ciel alors que sa vision se troublait. C'est là qu'un visage apparu, flou indescriptible, et une voix rocailleuse se fit entendre.

- Tu as un nom mon gas ? T'es dans un sale état.

- J'ai pris une usine sur le coin de la gueule, mais je fais juste une pause ...

Ironique …

- Scott, je m'appelle Scott ...



La notion du temps semblait avoir disparu pour Scott, alité pendant plus d'une semaine dans une salle sombre sous la lumière d'une ampoule cachottière. L'état du vieux briscard était préoccupant lors de son arrivée à l'aéroport de Kelowna, de nombreuses blessures, mais surtout une fatigue extrêmement avancée. L'esprit oscillant entre réalité et inconscient, le grizzly perdu dans l'ombrageuse forêt de sa jeunesse, fuyant les démons de son passé et chassant les fantômes de sa famille. Délirant par moment et marmonnant des élucubrations sans queue ni tête, les membres du groupe qui l'avait recueilli ne lui donnait pas réellement bien longtemps, sauf quelques personnes et surtout : Seth Mansfield.

Étrangement, après le rétablissement du garde-chasse, le courant passa relativement facilement entre les deux hommes, lier par une passion commune, la chasse. Ce fut d'ailleurs le rôle attribué au quadragénaire afin de subvenir au besoin de la communauté, car, soyons réalistes, Scott n'avait pas la tête d'un homme de main, et cela n'était guère dans sa nature. L'ex garagiste du se familiariser avec les règles strictes du chef des lieux, le fait de mériter sa pitance et sa place dans un certain confort et une sécurité toute relative en cette période troublée. Seth était un meneur d'homme, parfois cruel, mais aux yeux de Scott, il semblait agir avec une certaine justesse avec ceux qu'il estimait être bon travailleur et loyaux. Loyal, le Tremblay l'était, reconnaissant à l'égard de ceux qu'il l'avait sauvé, travailleur, constamment, cela était une autre histoire.

Le survivant brillait plus par la qualité de ses prises que par la quantité d'huile de coude produite et ça, cela ne plaisait pas à tout le monde, notamment à Vince, le bras-droit de Seth. Personnage patibulaire tout en muscle et aussi hargneux qu'un pitbull, un homme qu'il ne valait mieux pas se mettre à dos et Scott s'en méfiait à juste titre même s'il ne montrait guère sa crainte à son égard. Il y eut cependant pas que des rencontres aussi teigneuses, Suzan et Lucy deux jeunes soeurs américaines amenaient un peu de douceur dans ce groupe, même si la seconde ne se laissait pas facilement approcher, Suzy elle, plus expansive, était d'une agréable compagnie. Leur frère, Benedict, était un homme complexe, rongé visiblement par son vécu et hanté par ses vieux démons tout comme Scott l'était. Leurs destins seraient intimement lié dans le futur, mais ça, ils ne le savaient pas encore. Les semaines et les mois passèrent, Scott rencontra Ghus, jeune homme récupérer par le groupe, il semblait perturbé, comme bons nombres de personnes après cette situation cauchemardesque, mais il sentit rapidement une admiration sans borne pour Seth chez le nouveau venu, une aubaine pour le chef qui appréciait particulièrement ce genre de dévouement. Le vieux grizzly se tenait à l'écart des affaires du groupe quand il le pouvait, même s'il n'ignorait pas que de plus petits groupes tombaient sous le joug de Mansfield.

Un soir, perdu dans ses pensées et le reste d'une bouteille de bière à la main, Scott pensa à James et Cat, jusqu'ici il avait tenté d'estomper ce souvenir, pensant que livrer à eux-mêmes ils arriveraient à survivre sans doute bien mieux qu'avec lui, le poissard, l'incapable. Une succession de mauvais choix, d'incapacités à être un « parent » digne de ce nom, avait poussé le Tremblay à renier ce qu'il représentait réellement pour eux. Passant sa main libre dans sa barbe hirsute en guise d'instant de réflexion, Scott tourna son regard et aperçu une silhouette titubante se faufilant dans un recoin perdu de l'aéroport. Qui était donc cette âme en peine cherchant à fuir la présence d'autrui ? Scott se posa cette question alors qu'il se releva péniblement, saoul du trop plein d'alcool ainsi que de sa nostalgie. D'un pas peu assuré, chassant les quelques cadavres de son ivresse roulant sur le sol, le quadragénaire se dirigea dans la direction de l'ombre s'étant isolée, attisé par la curiosité et cherchant sans doute malgré lui, une informelle discussion l'arrachant à sa morbide réflexion. À l'abri des regards, Scott tomba nez à nez avec Benedict, aussi aviné que lui, mais ce dernier visiblement fut surpris et non pas en bien de la présence du Canadien. Posant son séant sur un vieux pneu de camion non loin de l'assise de Ben, le grizzly débraillé se laissa aller à une parole.

- Je bois et je sais des choses, mais j'aurai sans doute tout oublié demain donc merde.

Ivre certes, mais pas suffisamment pour oublier, pas suffisamment pour ne pas se contrôler ou savoir ce qu'il disait, juste ce qu'il fallait pour atténuer les douleurs qui le rongeaient. Scott sentit que Ben fuyait quelque chose, le regard des autres peut-être ? Emporté par sa curiosité, celle de la bouteille, le canadien voulait en savoir plus, les confidences de deux soûlards de fin de soirée, chose qui n'aurait sans doute jamais pu se produire dans d'autres circonstances.

Après divers sujets de vie, bien vite abordé, la discussion tourna d'une manière prévisible sur la vision de Seth pour le groupe, sa rigueur, et ses méthodes. Benedict semblait soucieux, où en tout cas, il était dubitatif, alors que Scott, lui, estimait qu'il fallait prendre parfois les choses en main pour le bien de tous. Mais, car il y a un mais, il devait bien avouer qu'il n'appréciait pas quand cela était « trop » aux dépends d'autrui. Sans doute son éternel entre-deux, sa terre du milieu, ni bon ni mauvais, ni héros ni salaud, pas trop salaud. Malgré son état, le canadien savait qu'il était temps pour lui d'avoir une discussion avec le maître des lieux, principalement après l'asservissement du temple, sujet qui fit également son apparition dans la discussion avec ce cher Ben. La vision du sauveur s'étiolait peu à peu au fil des mots du partenaire de beuverie du Grizzly, avait il réussit a instiller le doute tel le fourbe Loki ? Non, en réalité la question avait déjà fait son bonhomme de chemin depuis un moment, Ben n'avait fait que renforcer cette évidence. À mesure que la noirceur de la nuit les enveloppaient, Scott remarqua à quel point son homologue tenait à sa famille, même s'il ne laissait que des bribes s'échapper malgré son état. C'est à ce moment que le garde-chasse comprit qu'il devait outrepasser le peu d'estime qu'il avait de lui-même en tant que « parent » pour retrouver Cat et James. Un souffle de révolte grondait que les protectors, pourtant, Scott n'en avait que faire, il avait un autre but.

Le réveil fut difficile, une épouvantable gueule de bois retenait le grincheux dans son lit, passant les mains sur son visage, le souvenir de la discussion de la nuit dernière n'avait pas disparu, bien encré dans cet esprit embrumé qu'était celui de Scott. Après une toilette sommaire et avec les moyens du bord, le quadragénaire était bien décidé, partir à la recherche des membres de sa famille et dans ce but, il prépara son sac, emportant ce qu'il pouvait, sans doute pour un long périple empli de dangers.

Il n'avait pas de remords, partir ainsi, quitter ceux qui l'avait aidé tel un voleur ne lui posait pas de problème. De son point de vue, Scott avait largement compensé son sauvetage en nourrissant le groupe de nombreuses semaines avec le fruit de ses chasses, mais quelque chose le poussa à aller voir Seth, lui parler de son désaccord. Le canadien respectait le meneur d'homme, celui que beaucoup craignaient, mais sans lui beaucoup ne seraient plus de ce monde, il fallait au moins lui accorder cette réalité. En revanche, le grizzly, ne parvenait pas à cautionner la limite que Seth avait franchie, voilà une des raisons qui le poussa dans cette voie.

Les deux hommes se retrouvèrent à la lisière d'une forêt ou le seul son présent était celui du bruissement du vent dans le feuillage des arbres. En voyant tout l'attirail que Scott trimbalait sur lui, il ne fallut pas longtemps à Seth pour devenir la raison de cette entrevue.

- Je te respecte, mais la voie que tu as choisie n'est pas la mienne et j'ai une promesse à tenir, et ni toi ni le groupe peut m'aider à y parvenir, c'est un périple que je dois faire seul.

Seth affichait son air quand une situation l'emplissait d'une surprise agréable, mais il marquait également une ironie notable.

- Ah j'avoue Scott c'est ce que j'aime chez toi ! T'es pas comme tous ces couilles molles qui se barrent la queue entre les jambes ! Non toi tu fais ça bien mais tu vois... même si j'apprécie le geste tu ne t'imagines quand même pas que je vais renoncer à mon meilleur chasseur ?

Prévisible situation qui pouvait sembler acculer Scott dans une impasse infranchissable, et pourtant ... Scott ricana avant de passer le revers de sa main sous son nez tout en reniflant.

- Étrangement je m'attendais à cette réponse de ta part, je me répète, tu sais combien je te respecte, mais ... je n'ai pas le choix, alors ne soit pas trop rancunier mon vieux d'accord?

Le chasseur astucieux leva le pied d'un rudimentaire dispositif en bois, bien caché dans l'herbe et les feuilles. Un collet fait d'une corde épaisse s'enroula autour du pied du dirigeant des Protectors avant de le faire chuter. Scott sortit son revolver avant de tirer une fois en l'air, créant un bruit qui attira alors quelques rôdeurs se trouvant non loin. Il s'éloigna alors à toute allure dans la confusion, à une distance respectable, là où était l'attache du piège, les morts n'étaient plus très loin de Seth, mais Scott n'avait nullement l'intention qu'il soit tué, alors, il coupa la corde d'un coup de couteau.

L'air grave, instant emplit de sérieux et regard perdu dans l'horizon, Scott se détourna quelques instants plus tard, fuyant dans l'immense forêt pour repartir ensuite sur les routes de Kelowna dans l'espoir de trouver des indices concernant son neveux et sa nièce.

Après une longue errance solitaire, Scott eut vent du coup d'état dans son ancien groupe, Benedict avait finalement accompli ce qu'il sous-entendait lors de leur conversation, et le vieux Grizzly se décida de revenir à l'aéroport en pleine effervescence pour s'enquérir du sort de ses compagnons et également connaître le sort de Seth. Débarquant tel un ermite en maraude, en septembre 2019 alors que le froid commençait à faire son apparition, peut-être que les dissidents auraient des informations sur sa quête.