The Arrival - RP commun

Hier j'ouvrais les yeux à Highgate. La mine froissée de Daniel descendant l'escalier. Celle d'Enola émergeant à peine pour redisparaître l'instant d'après. L'infect café partagé sans traîner sur la terrasse avec Ted en fixant les priorités de la journée. Une pensée vers Ayana en expédition sur la rive ouest. Fugace, éphémère, parce qu'elle devait rentrer dans la journée.

Parce que je n'aurais pas pu imaginer.
Parce que rien ne nous avait préparé.

Ce matin, Highgate a disparu. Comme un rêve, un mirage. Tant d'espoirs et d'énergie investis dans cette utopie fragile, et il aura suffit d'une nuit... La maison évanouie, il reste les visages amis, défaits, accablés. Et encore Ayana manque. La culpabilité à retardement, l'inquiétude en différé, l'absence qui étouffe, chargée de regrets. De tout ce que je n'ai pas dit, de tout ce que je n'ai pas fait. Incapable de saisir ces instants fragiles qui ne reviennent jamais. De toutes ces années, tu n'as vraiment rien appris, Abel Howard?

"Qu'est ce qu'on fait, Abel?"

Comme si ça avait encore un sens ici, comme si j'étais encore celui vers lequel se tourner. Aussi paumé que tous les autres, en vérité. Instinctivement, mes yeux ont trouvé ceux de Rafael non loin. Circonspects, farouches.

"Ce qu'ils disent..." je réponds, en espérant ne pas trahir. Ils nous ont à la fois condamnés et sauvés, que faire d'autre?

Le flot des survivants d'Highgate se perd vite au milieu de tous les autres. J'essaie de les garder en vue, mais bientôt mon regard ne suit plus. Perte de repères, perte de contrôle. Des cris et je vois Orla tomber de joie dans les bras d'une dame d'âge mûr. L'ombre furtive d'Enola saisissant au bond sa chance pour me fausser compagnie et retourner tout le camp à la recherche de son aînée.

Des silhouettes qui pourraient être la sienne, j'en compte une demi-douzaine. Autant des battements ratés, autant de brusques retours à la réalité.

Et puis, il y a cette veste un peu usée. Patinée par le mauvais temps et les années. Je la revois, là-bas, suspendue sur la patère comme un fantôme familier. A présent, elle enveloppe une silhouette un peu voûtée, appuyée sur une canne. Une mèche noire dépasse. J'avance, la gorge écrasée par un espoir trop immense. Ma main se pose sur l'épaule, le tissu rugueux sous les doigts, la chaleur diffuse. Quelques secondes indécises avant qu'elle ne fasse volte-face, que nos yeux se rencontrent et se parcourent, que nos âmes se rejoignent. Mes bras l'attirent et son odeur m'enveloppe. Rien d'autre qu'un soupir pour permettre à mon cœur de repartir et au printemps d'éclore.

Je suis là, Ayana. Je te vois.

Spoiler:

Qu’est ce qu’on fait?

Les mots lancés dans l’air à travers les mains agiles de son frère planaient autour de la tête douloureuse de Logan comme des chérubins grassouillets en arrière plan d’une peinture miteuse. Et pour dire vrai, il n’avait pas la réponse à cette question. Il ignorait dans quoi ils avaient mis les pieds ; ignorait s’ils avaient eu raison de faire confiance à ces soit-disant représentants du gouvernement ; ignorait s’ils ne venaient pas de plonger dans un tas de merde plus grand encore que le précédent. En vingt-quatre heures, il fallait dire que leur situation ne c’était pas réellement améliorée (au moins elle n’avait pas vraiment empiré). Ils étaient passés de dormir dans des draps humides et froids dans une vieille maison abandonnée à dormir dans des draps humides et froids dans un hangar au milieu de plein d’autres glandus. Mais ça aurait pu être pire -comme toujours- et ils auraient pu tous finir façon chiche-kebab sauce napalm. Un menu au combien dramatique mais sur que ça lui serait resté sur l’estomac. Au moins ils étaient vivants, et c’était déjà ça.

Mais le doute demeurait toujours.

Et les autres ?

*Je suis certain qu’Emy et Ruben sont dans le coin… C’est une petite futée, elle s’en est sortie, c’est sur ! Ton oncle ne doit pas être loin non plus…* Devant le regard sombre de son frère, les yeux perdus dans le vague de ses idées noires, Logan tendit la jambe et donna un petit coup de pied dans sa chaussure pour attirer son attention.* On va les retrouver. Je te le promets.* On va tous les retrouver.

Alors qu’il signait cette promesse, le géant vit apparaître dans son esprit le visage flouté de Nancy. L’anglaise aussi, comme le reste de leurs amis et famille, restait introuvable. Il n’osait le dire, mais l’angoisse de son absence lui serrait le bide. Et si elle n’avait jamais entendu le message de l’hélicoptère ? Plusieurs fois déjà Owen avait réclamé sa présence. Le petit garçon allait-il devoir dire au revoir à cette femme à peine après l’avoir retrouvé ? C’était cruel. C’était pourtant la vérité.

*On va s’en sortir.* Il chercha du regard les visages fatigués des autres.*On va se rendre utile, trouver notre place, tâter le terrain et voir si on peut leur faire confiance… et surtout, on va rester ensemble.* Oui. Ensemble. Dans ces vieux draps humides et ce hangar plein de glandus comme eux.

Résumé:

    

La route fût longue et sinueuse, à l'image de cette nouvelle vie, dans ce monde que personne n'imaginait possible sauf les plus illuminés d'entre nous. Pourtant, voilà que tout cela était bien réel, les morts qui se relevaient, les privations en tout genre, l'abondance et le confort personnel, deux choses coutumières si lointaine aujourd'hui. Que les plus sceptiques se le disent, les fous avaient raison, et les biens pensants étaient dans l'erreur la plus complète. Kelowna n'était qu'un souvenir désormais, un écho semblant déjà lointain et pourtant si proche, deux années de vie parties en fumé en quelques instants. Florencia jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, sa longue natte sombre suivant son mouvement, alors que de nombreux survivants ralliaient enfin l'immense muraille de la colonie, bastion de vie. Un nouveau départ, en compagnie de ses camarades Max et Joakim, mais elle espérait aussi retrouver d'autres membres du Colisée vu qu'ils étaient tous trois à l'extérieur quand l'évacuation fût ordonnée. Le regard ambré de la trentenaire scrutait les autres visages présents, certains étaient connus, de par les pérégrinations de la noiraude et d'autres pas du tout, mais ce qui était certain, c'est que la diversité était bien présente.

Alors qu'elle suivait les autres oiseaux sombres de son groupe, voilà qu'un discours fût prononcé, un choix était proposé. Un simple échange de regards fût nécessaire pour les trois comparasses, ils n'allaient pas quitter un endroit sûr où une nouvelle vie était offerte, si leurs camarades étaient ici également du moins. La portoricaine fit une certaine grimace quand elle dut sécuriser ses armes et les remettre aux gardes qui firent l'inventaire des déplacés. Une sensation de nudité, d'avoir remis une partie de soi-même sans en avoir le choix. Après avoir clairement mentionné le fait que son matériel s'appelait retour, la corneille serrant son poing dans sa poche. Un peu plus tard, Max décida de s'éclipser, sans doute pour pouvoir respirer, mais non sans prévenir Joakim et Florencia, leurs liens s'étaient renforcer depuis diverses péripéties arrivées quelques temps avant les événements récents, la tireuse d'élite savait qu'elle pourrait toujours compter sur eux. C'était au tour de Joakim de vouloir s'éloigner, et sa motivation était connue par le sergent Mendès, retrouver les siens et cela était parfaitement légitime.

Il ne fallut pas longtemps pour qu'enfin toute la crainte qu'animait le compagnon de la noiraude s'exprime par un soupire de soulagement, une explosion de joie mesurée, et une étreinte chaleureuse. Florencia sourit à son tour, et elle prit Adalie dans ses bras avant de donner une légère tape sur l'épaule de Kyle, ils étaient vivants et elle en était satisfaite. Le regard froid de la reine des glaces se posa dans les perles ambrés de la latine, mais point de défiance cette fois, du respect.

La corneille répondra à interrogation de la mère de famille.

- Non Max est avec nous, elle est partie un moment prendre l'air et, je suis contente de vous revoir.

D'un geste, elle pointa la direction que la tireuse d'élite avait empruntée.
 

Résumay:

Collée aux basques de Cesare. Un fennec dans le sillage d’un cafard présumé. Le genre de résumé à foutre le cafard, par vrai? Sans le père pour protéger la fille. Petite pupille dévoilée devant le médecin désigné. Les manches relevées. Le t-shirt retroussé. Pas de marque, la poupée. Juste sa petite peau de jeunesse préservée de tout. Comme un miracle, depuis Brownsville. T’auras au moins réussi ça, Roy. La préserver de la moindre égratignure. Puis dans le campement de fortune à ciel ouvert, elle suivant Cesare sans un bruit. Le coeur trop lourd qui rendait ses lippes muettes, pour une fois. Cali talonnée par l'homme baraqué. Elle foutait les mains dans ses poches pour se préserver du froid ou pour faire genre, tandis que son espoir s’étiolait à ne pas le retrouver, le retracer, le repérer. Le seul qui comptait pour vrai.

T’es où, p’pa..?

Des chapeaux un peu partout. Ça caillait malgré avril. Ça caillait tout le temps dans ce pays façonné par le froid et la neige. Un hiver de six mois, la chance, dad. Railleuse, elle le lui aurait dit mille fois juste pour voir ses sourcils se froncer. Juste pour le voir râler un peu. Des chapeaux partout, mais des Stetson, c’était plus rare. C’est comme ça qu’elle l’avait repéré, ou qu’elle avait cru l’avoir retracé. La stature un peu recourbée sur quelqu’un d’autre. La silhouette qui se soustrayait à son champ de vision. Un mètre cinquante cinq à ne rien voir du tout, même sur le bout des pieds. « Il est là! C’est lui, j’crois! Cesare! Il est là près de la tente pour les soins! » La manche tirée, la voix vibrante d’un espoir renouvelé. Puis elle détallait. Se faufilait. S’exilait. C’était comme ça, la nature, non? Les petits qui retrouvaient toujours le chemin vers le père, vers la mère?

Pendant une seconde, l’impression de l’avoir perdu. Le Stetson nulle part. Arrêt sur pause, Angie. Le coeur en tragédie. Les larmes sur le coin des yeux. Perdre abuela. Perdre mamá. Perdre papá. Sa vie toute tracée. Orpheline. Une foutu Pancho Villa, à courir les plans à la con derrière Cesare, derrière Cali. Étourdie, Angie. Par Roy qui semblait s’être évaporé. Tourner sur elle-même. Tourner encore. Le chercher partout, à en avoir la nausée.

Puis… Puis il était là. Aussi choqué qu’elle. Sa gueule ombrée sous le Stetson. La course. La course folle. La course à en perdre le souffle. Elle lui sautait au cou, elle l’enserrait de toute sa force. Mais il encaissait, le vieux Roy. Mon père, c’est l’plus fort. Raison de le dire, quand ses pieds quittaient terre, soulevée comme si elle pesait rien du tout. Raison de le dire, quand le vieux shérif avait survécu à un bombardement sans son petit fennec pour le guider. « Papa… » Un couinement. Des pleurs. Ça communiquait toujours pas, chez les Arello.

Spoiler:

C’était un peu chaotique. Un peu beaucoup. Petite bibliothécaire dans l’âme, à aimer l’ordre dans le désordre. À aimer la bureaucratie et ses mesures claires. Elle se retrouvait plongée dans un joyeux bordel, Hannah. Zelda entre ses bras. Entourée des gens qu’elle adorait, qu’elle considérait comme sa famille. Mais dans un bordel tout de même. Orla qui sanglotait entre les bras de celle qui devait être sa grand-mère. Abel qui avançait comme un naufragé dans la foule dense. Ruben et Abby qui la regardaient, qui se regardaient. Trois petits soleils dans un ciel trop couvert. Et Rafael. Rafael et ses lèvres sur elle. Elle sentait son coeur se réchauffer un peu, s’appaiser. Et Zelda gazouillait. Après l’orage du dinausor absent, elle semblait apprécier les bruits et les exclamations joyeuses, autour d’elle.

Alors son coeur de maman se barricadait. Ne rien laisser paraître de son mal-être. Ne rien laisser filtrer des images qui la hantaient. Une communauté grande, bien trop grande. Des armes pointées sur eux. L’armée qui chapeautait le tout. Qu’est-ce qui se passait, Hannah, quand l’armée dirigeait un pays? Dictature militaire. Elle le savait, la petite rouquine, que lorsqu’un groupe armé était au sommet… L’humanité s’essouflait. Le sourire crispé vers un Rafael dépassé, entre la petite Emy en panique et Noah anxieux. Ne pas en rajouter. Respirer. Se calmer.

On restera pas là, j’vous l’jure

Un hochement de tête. Ils se comprenaient sans parler. Les mêmes blessures, les mêmes fêlures. Puis Zelda s’exclamait en son nouveau, et Hannah… Hannah ne la comprenait pas. Hieeen! Le regard à la ronde, jusqu’à voir l’intru. Un chien. Un chiot. Quelque part entre les deux, mais assez gros et robuste. « Mais oui Zelda, c’est un nouveau chien! Comme Cruz. » Ses petites mains potelées qui voulaient toucher, tirer, caresser. Et la rouquine levait les yeux pour interroger le propriétaire. C’était risqué avant la fin du monde. Est-ce que c’était un suicide assuré, maintenant qu’il y avait des infectés?

« Matthew! » Est-ce qu’elle avait crié? Otto et Niklaus la dévisageaient un moment, puis dévisageaient le vieil homme ridé qui approchait avec curiosité. « Matthew… Mais assieds-toi, ne reste pas debout comme ça. Je suis si, si soulagée..! » Elle s’était approchée de quelques pas, Cruz sur les talons.

À peine deux foulées. À peine deux foulées, et une petite ombre fondait sur le vieil homme. Une petite furie nommée Emy. Qui sanglotait. Qui pleurait. Qui mourait d’amour.

C’était chaotique. Un peu beaucoup. Mais c’était émouvant aussi.

Spoiler:

Un coup de coude pour Lucy, quand elle lui confirmait qu’elle avait doublé mais qu’il était pas prêt de l’oublier. Le rire aux bords des lèvres, Susan, malgré l’inquiétude qui lui grignotait le coeur. Petite soeur. Sassy Lucy. Lovely Lucy. À peine les mots s’étaient figés à son esprit que la vision s’imposait à elle. Ferghus. D’un coup, le monde vacillait. D’un coup, plus rien comptait. Juste Susan qui traversait la foule, une main sur son ventre. Juste elle qui se réfugiait entre ses bras aimants et puissants. Des larmes comme seules paroles.

Je t’aime. Je t’aime...

Son coeur à vive allure dans sa cage thoracique. Elle ressentait ses battements en panique, Susan. Elle percevait ses émotions en cavale, sa souffrance en rafales. Sa tête sur sa poitrine, au niveau de son coeur. Le tambour de guerre de son chant d’amour. Ça pulsait fort. Ça pulsait vrai. Il était vivant. C’était réel. Ses larmes salées pour cerner son chandail. Elle relevait un visage fripé mais souriante vers lui. Croiser ses yeux noirs. Effleurer sa mâchoire. Perdre ses doigts dans ses cheveux en bataille. « J’ai eu tellement peur… Au point de rassemblement, t’étais pas là. T’étais nulle part. Et ils nous disaient rien, les militaires. Rien du tout. J’ai juste vu… Je l’ai vu, Ghus. » Ses mains pour cercler son visage, pour l’obliger à plonger ses yeux dans les siens. S’y réfugier et s’y ancrer. Ses lèvres retrouvaient le chemin des siennes, un refuge qui lui avait bien trop manqué. « T’es libre maintenant. Ferghus, t’es libre, t’entends? Je laisserai plus personne t’emprisonner, dans ta tête ou ailleurs. » Dans sa tête. Dans son coeur. Dans une geôle. Qu’importe. Assez féroce, avec son coeur de lion, pour le libérer de toutes ses chaînes.

« Promets-moi juste de plus m’abandonner. Plus jamais… T’es avec moi et c’est tout. Tu comprends? T’es ma maison, t’es ma famille, toi aussi. Alors tu restes. » Quoi qu’il arriverait, il allait rester. Elle s’en assurerait, la petite furie.

Spoiler:

Ça faisait une journée à peine. Ça faisait un siècle presque. Combien de temps loin d’Highgate, loin d’Abel? Combien de secondes avaient défilé à coup d’heures? Combien de battements de coeur perdus, à contempler les dégâts et leur étendue? Les flammes au loin. La fumée dans le ciel sans nuage. Sans un bruit. Sans un mot. Voir le génocide de près. La mise à mort d’une culture et d’une spiritualité. Comment trouver les mots pour décrire l’étendue d’une douleur? Appuyée sur sa canne, voûtée sous la douleur, pliée sous le poids d’un chagrin indicible. Lorsqu’on avait touché son épaule, ça avait fait drôle, ça avait fait chaud. Abel. Une poignée de secondes en flottement, qu’elle réapprivoise la douceur et sa chaleur. Une poignée de secondes avant qu’il ne l’enveloppe de ses deux bras.

La canne abadonnée en bruit sourd, à leurs pieds. Ses mains occupées à se lier à sa nuque, ses bras affairés à le retenir captif contre elle. Tremblante. De douleur. D’émotion. Ses yeux humides qui s’obstinaient à ne pas pleurer. La fierté vacillante devant l’émotion qui la submergeait. La gorge serrée. La poitrine étouffée. Juste une oeillade, rapide, pour percevoir Enola plus loin. Hésitante, petite renarde noire. Mais rassurée. Alors elle savait, Ayana. Elle savait qui était son pilier. Elle savait qu’il le resterait, qu’elle pouvait s’appuyer, qu’elle pouvait respirer. Son corps fragile secoué d’un sanglot silencieux. Et ses yeux se refermaient pour voir l’essentiel. Sécurité. Entre les bras d’Abel. Les flammes, les bombardements, les balles. Elle n’avait pas tout perdu, l’Okanagan.

Elle l’avait retrouvé, lui. Elle n’avait pas tout perdu.

« Combien de balles je vais devoir me prendre pour que tu m’embrasses…? » Le rire fragile, essouflé par la douleur, meurtri par l’envie. Son corps trop chancelant pour se détacher de lui. Trop marqué par le manque et la peur, aussi, sans doute. Sa tête sur son épaule, les yeux scellés, les cils humides. Et elle s’imaginait, Ayana, ses joues se réchauffer, rougir et le trahir. Et elle s’imaginait que cette nouvelle vie serait difficile, mais qu’elle serait douce aussi. Tant qu’Abel resterait près d’elle.

Spoiler:

Autour de nous, ils sont des dizaines, une centaine, peut être même. Mais lorsque l'Okanagan pose sa chevelure sombre sur mon épaule, c'est comme si le temps s'était figé. Quelques secondes en suspend, toute distance abolie, pour renouer avec cette sensation que je n'imaginais plus jamais connaître.

Se sentir complet.

L'âme sereine, pleine. Les veines qui se réchauffent et le coeur qui s'éveille.
Elle était là. Juste là, pendant tout ce temps. C'était si évident, qu'il avait fallu qu'elle n'y soit plus pour que le vide me gangrène, les poumons privés d'oxygène.
Les doigts qui se crispent pour la retenir comme si elle n'était qu'un mirage, les lèvres contre son front moite, le feu aux paupières, la gorge qui se serre en songeant à ce qu'aurait été cette perte supplémentaire.

Sa voix, légère, ose poser les mots pour trancher ces années de silence. Pudique, Abel. Si peu doué, déjà avant. Ayana laisse échapper un rire aussi léger qu'une brise qui soulève sa poitrine et résonne dans la mienne. Et c'est comme si le ciel tout entier se déchirait. De rayons crépusculaires, chauds et dorés tombant sur Terre. La lumière dans mes ténèbres, l'accalmie dans ma propre tempête. Celle qu'elle promettait, celle qu'elle devinait.

D'une main, je relève un peu sa tête. Ses paupières perlées s'ouvrent sur ses prunelles fatiguées. J'y devine sa douleur et son chagrin à peine camouflés. Pourtant dressée, l'Okanagan orpheline, la fierté pour racines.

Tiens toi à moi, Ayana. Tiens toi de toutes tes forces, je ne te lâcherai pas.

Imperceptiblement, nos joues se caressent, nos nez se reconnaissent, nos lèvres s'effleurent. Assez pour frémir, assez pour se désirer avant d'oser se goûter.

Ravive-moi...

Spoiler:

Le corps de Seth, j'l'ai vu aussi. A même  la terre, le crâne en charpie. Le prix à payer, sûrement, pour avoir mal choisi ses ennemis.

"Te bile pas, j'compte pas mollir ici..."

Le ton sûrement un peu trop abrupte, toujours sur la défensive, les crocs affûtés, prêts à mordre s'il le fallait.

L'infirmier relève la tête, le sourcil arqué, choqué sûrement que j'ose lui voler de son temps. D'une main, il me fait signer de me rhabiller pendant qu'il s'asseoir pour remplir un dossier.
La vérité, c'est que ça dépend pas que de moi. Ça serait plus simple sûrement si ça l'était. Le ton s'infléchit, fêlure infime:

"J'ai Frances avec moi."

Tout était dit. La somme de tout ce qui pouvait me retenir ici contre mon gré, me couper les ailes, me domestiquer. Cet endroit, c'est peut-etre c'qui pouvait lui arriver de mieux. Pour elle, j'pourrais essayer de me conformer, j'l'ai déjà fait, avec les résultats que Khaaleb connaissait. Suivre les règles, porter les chaînes... Pas après ces deux dernières années. Ça finirait mal, j'le savais.

Mais la laisser derrière moi, c'était exclu. Depuis qu'tout ça avait commencé, on s'était pas quitté et je préfèrerai me laisser enfermer plutôt que de l'abandonner. Ensemble jusqu'au bout. A lui bâtir un palais à partir de ruines, à la veiller comme une flamme fragile prise dans des vents contraires.

"J'peux pas l'emmener sans savoir c'que j'vais trouver dehors..."

C'qu'on vient de vivre, c'est déjà trop. C'est déjà trop depuis déjà deux ans. Et, au delà de ces grilles, la table rase, la survie brute et impitoyable. Si tu la voyais, Khaal, tu saurais. Les années ont passé depuis leur dernière rencontre, son esprit fatigué a oublié bien des choses, mais je sais qu'elle le reconnaîtrait.
Les pans de la tente s'ouvrent sur l'extérieur et la file d'attente qui s'allonge.

Et soudain, dans l'impasse, se dessine une voie de garage.

Le genre étroite, dans laquelle on s'engage le cul serré. Zéro marge d'erreur. Je m'y engage à contre coeur:

"Elle t'connait... Elle resterait... "

Je rabas les rétroviseurs et embraye, avant de lui laisser une chance de refuser:

"Pas pour long, juste le temps que j'nous dégotte un coin sûr... J'sais qu'tu laisserais pas des saloperies lui arriver."

Comment on traite les vieux ici? Comme des boulets, des charges inutiles? Qu'est ce que j'en sais... Pour Nana, je pourrais me coucher, peut-être même supplier.  Dernier sursaut d'orgueil pour une offre sur laquelle, j'en suis sûr, il ne pourra pas cracher:

"J'te jure qu'après tu croiserais plus jamais ma gueule, ni de loin, ni de près."

Spoiler: