Leo - Art of survival

J'ai beau avoir vécu bien plus longtemps avant que le monde ne s'effondre, je ne peux quand même pas m'empêcher de présenter mes quasi trente premières années de "ma vie d'avant"…

Donc oui, dans ma vie d'avant, je suis née à Olympia, une ville au sud-ouest de Seattle, dans une famille aimante et "classique" de la classe moyenne américaine si on peut dire. J'étais l'aînée de 4 autres sœurs - oui oui, vous pouvez prendre quelques instants pour plaindre mon père - avec qui je m'entendais parfaitement bien. Bien sûr, on avait nos lots de disputes entre sœurs mais jamais rien de bien méchants. Elles étaient autant mes sœurs que mes meilleures amies, malgré nos différences de caractères et d'âge. Même si on était assez rapprochées quand même, 7 ans seulement nous différenciant Dylan, la plus jeune de nous cinq, et moi. Ouais, mes parents ont un peu "triché" avec Kate et Beth, les troisième et quatrième qui sont jumelles. D'ailleurs, presque comme un symbole de cette parfaite entente et complicité entre nous, pour les 18 ans de Dylan, nous nous étions toutes faites tatouée le même dessin de corbeau - en référence à notre nom de famille bien sûr-, chacune à l'emplacement qu'elles voulaient.

J'ai d'excellents souvenirs de mon enfance et mon adolescence. Avec mes parents, mes sœurs, mais aussi avec mon oncle Terry, le frère de notre mère et notre oncle préféré avec mes sœurs. Je n'avais aucune idée de ce qu'était un survivaliste mais avec le recul d'aujourd'hui, ouais, clairement, il l'était quand même pas mal. Sans rentrer non plus dans le stéréotype du gars qui s'est fait un bunker dans son jardin ou quoi que ce soit mais bon… Il adorait la nature et nous amenait à la moindre occasion faire des balades en forêts, des randonnées dans les parcs nationaux autour, voire carrément des treks quand on a été assez grandes pour le suivre mes sœurs et moi. Et à chaque fois, il en profitait pour nous apprendre des trucs sur la survie en forêt, comment reconnaître ce qui est comestibles ou pas, comment connaître le sens du vent, plus ou moins s'orienter la nuit grâce aux étoiles, ce genre de trucs. Avec mes sœurs, on adorait. Ça nous amusait plus qu'autre chose et on n'avait pas réellement conscience que ça pourrait nous être utile un jour ou l'autre. Et dire que ma mère le charrier régulièrement là-dessus, quand on voit combien ça me sert aujourd'hui en vrai… Et quand je pense que c'est lui aussi le premier à m'avoir mis un arc dans les mains… Bordel, merci Oncle Terry !!!

Mais pour en revenir à "ma vie d'avant", arriva le moment de la fac. Sur les conseils de mes profs de lycée, j'avais décidé de m'orienter vers des études de Physique-Chimie, avec une dominante en chimie. J'adorais ça, j'avais des facilités dans ces cours et en plus, contrairement à pas mal d'autres, je n'avais pas vraiment de métier de rêve depuis toute petite alors… Quoi qu'il en soit, j'avais été accepté à l'université d'Etat, à Seattle. Et c'est là-bas que j'ai rencontré Dario, un putain d'escroc en puissance ! Et accessoirement, le père de mon fils aussi… Je l'ai rencontré au milieu de ma première année d'étude. Il se disait étudiant en architecture et un pur italien né là-bas, aux USA uniquement pour ses études, payées par ses riches parents restés en Italie avec le reste de sa fratrie. C'était le beau mec drôle, intelligent, beau parleur et sacrément séducteur. Bref, avec toute la naïveté qu'était la mienne à 18 ans, je suis complètement tombée sous son charme, ignorant complètement le fait que ma famille, ma mère en tête, ne l'appréciait pas vraiment, sentant qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Aaaah si seulement je les avais écouté… On s'était assez vite mis en couple lui et moi. Et en avril 2007, je me suis découverte enceinte.

Qu'on se le dise bien ! J'aime mon fils. Il est la plus belle chose qui me soit arrivé dans la vie. Vraiment. Mais sur le coup, à encore 19 ans et en plein dans ma deuxième année d'études, alors que j'étais encore moi-même qu'une gamine jouant à l'adulte, je ne me voyais absolument pas mère. La seule solution que je voyais, c'était l'avortement. Mais là encore, Dario s'est fait beau parleur, me promettant monts et merveilles, dont le fait qu'il serait toujours présent pour son enfant et moi, bla-bla-bla et j'en passe. Et moi, naïve que j'étais à l'époque - ou rendue stupide par l'amour, allez savoir -, je l'ai cru… J'ai arrêté mes études à ce moment-là pour chercher du travail. Parce qu'il fallait bien l'assumer financièrement cet enfant. Et je pensais que Dario avait fait la même chose étant donné que c'était ce qu'il m'avait dit. En toute honnêteté, je galérais à en trouver, passant de petits boulots en petits boulots qui changeaient toutes les deux semaines max. Mais en même temps, quoi de bien étonnant en étant enceinte et en ayant lâcher ses études. Et puis début septembre 2007, alors que je rentrais du boulot et pensais retrouver Dario dans le petit appart qu'on louait, surprise surprise, il s'était tiré. A deux mois du terme, on repassera pour le "je serais toujours là pour notre enfant et toi". Retrouvant un de ses anciens potes de cours que je n'avais vu qu'une fois ou deux au début de notre relation, j'ai découvert à quel point Dario était un sacré enfoiré. Tout d'abord, il ne m'avait pas donné son véritable nom de famille, mais celui de jeune fille de sa mère. Parce que son père était tout ce qu'il y avait de plus américain et sa famille n'était nullement en Italie mais bien dans le coin vu que sa mère était prof d'italien dans cette même fac que j'avais lâché. Mais pas lui en réalité, s'arrangeant simplement pour me faire croire qu'il bossait aux mêmes horaires que ses cours. Et les soirs où il devait faire sup' ? Bah il était simplement à la bibliothèque de la fac ou chez cet ami en question pour bosser pour ses études. Et où il était maintenant ? Et bien cet enfoiré était bel et bien parti en Italie pour y poursuivre ses études. Quant à son pote, non seulement il ignorait totalement que j'étais enceinte mais en plus, il était persuadé qu'on avait rompu Dario et moi depuis plusieurs mois.

J'aurais pu aller voir sa mère, vu que je savais où elle bossait, mais j'ai préféré m'en abstenir. Parce qu'il y a quand même mieux que "bonjour, on ne se connait pas mais vous allez être grand-mère et votre fils est un putain d'enfoiré !" comme première rencontre. Et même si je n'ai pas pu échapper à un "Je te l'avais bien dit qu'il n'était pas fiable" de la part de ma mère, j'ai quand même toujours pu compter sur le soutien inconditionnel de ma famille. Ethan pointa le bout de son nez dans ce monde en novembre 2007, alors que je venais tout juste d'avoir 20 ans. J'avais choisi de rester à Seattle plutôt que retourner à Olympia comme me l'avait proposé mes parents - et comprendre par-là, rentrer chez eux même s'ils ne l'ont jamais dit explicitement - pour prouver que je pouvais arriver à gérer ma nouvelle vie sans me reposer entièrement sur eux. Bon, en toute honnêteté, j'en ai bien chié les premiers mois et j'étais plus que contente de pouvoir compter sur l'aide d'Addie, ma sœur ayant pris la naissance d'Ethan comme prétexte pour venir étudier à Seattle elle aussi. Comme la plupart de mes sœurs d'ailleurs les années suivantes, on ne va pas se le cacher. Même si elles, elles n'ont pas arrêté leurs études comme moi, mais c'est un détail.

Niveau boulot aussi, j'ai fini par trouver quelque chose de bien plus stable plusieurs mois après la naissance d'Ethan. Rien de bien palpitant, c'était un poste de standardiste dans les locaux de la troisième radio la plus écoutée de l'état. Vous savez, la nana à l'accueil qui répond au téléphone, transfert les appels, et qui accueille les gens qui viennent. Mais au moins, ça payait les factures et remplissait le frigo. Au bout de 6 ou 7 mois, on m'a proposé de devenir une des trois standardistes ne bossant que pour la matinale de la radio. Là encore, la nana qui répond au téléphone mais quand vous appelez pour un jeu ou pour témoigner quand les animateurs vous invitent à le faire, et qui vous fait patienter, vous explique les règles du jeu ou ce genre de choses en attendant que vous passiez à l'antenne. Les horaires étaient plus contraignants mais la paye plus importante aussi. Il a aussi fallu que je réorganise complètement le rythme et les habitudes que j'avais avec Ethan mais là encore, avec l'aide de mes sœurs présentes en ville, j'ai pu m'arranger. Je suis restée à ce poste pendant 2 ans et demi à peu près, filant parfois un coup de main en régie de l'émission aussi quand il y avait besoin d'un remplacement étant donné que je bossais juste à côté d'eux - et non sans qu'on me répète 15 ou 20 fois ce que j'avais à faire la veille. Et un jour, je ne sais plus exactement pourquoi, j'en suis venue à intervenir directement dans l'émission. Pour expliquer un truc en lien avec ce que j'avais appris grâce à Oncle Terry me semble. Ça n'avait duré que 5 minutes grand maximum mais tout s'est emballé très vite après ça. Tout le monde avait adoré ma petite intervention, des auditeurs qui en demandaient plus, au responsable de l'émission en passant par l'équipe d'animateurs et le producteur. Du coup, on m'a proposé quelques jours plus tard de commencer par faire des interventions de ce style un peu plus récurrentes. Juste 5 minutes, pas plus, une fois par semaine… Puis 2, puis 3 fois par semaine, puis tous les jours… Et au final, au bout de plusieurs mois comme ça, on m'a carrément proposé d'intégrer l'équipe d'animateurs à temps plein… Au départ, j'ai vraiment cru qu'ils se foutaient de mois quand ils m'ont proposé ça. Mais non, ils étaient sérieux. Et même si là encore, ça chamboulait un peu le rythme que j'avais avec Ethan, mes sœurs, et ma petite vie tranquille avec mon fils en tant que mère célibataire, le salaire n'était pas du tout le même… Alors oui, j'ai fini par accepter. Et contre toute attente de ma part, il ne m'a pas fallu très longtemps pour réussir à me faire une place dans l'équipe.

Et en parallèle, mon fils grandissait. Notre situation était loin d'être idéale, mère célibataire aux horaires décalées que j'étais, mais on avait quand même notre rythme, nos petites habitudes, nos manies, nos rituels… Ethan et moi avons toujours été très proches et complices. Et j'ai toujours été honnête avec lui aussi, sans doute à cause de mon éducation mais aussi de la douleur provoquée par les mensonges de son père. Si bien qu'il a toujours su que son père n'était pas avec nous parce qu'il avait fait le choix de ne pas l'être. Je n'avais pas envie qu'il grandisse en croyant à des mensonges du style "ton père était un héros qui s'est sacrifié pour telle ou telle raison". Et je crois que c'est parce que j'ai toujours été honnête avec lui qu'il l'a toujours été avec moi aussi. Il a bien tenté de me cacher une bêtise ou deux, comme tous les enfants mais son record avant de venir m'avouer la vérité est d'un peu plus de quatre heures. C'était un petit garçon joyeux, souriant, social, débrouillard et plein d'imagination. Un gamin qui adorait Oncle Terry lui aussi, pour les mêmes raisons que mes sœurs et moi quand nous étions plus jeunes. Bref, on menait notre petite vie tranquille Ethan et moi. Et puis le monde s'est effondré…

Ma "vie d'après", elle a commencé comme pour tout le monde, en juin 2017. On était dans la Gifford Pinchot National Forrest, pour le premier trek d'Ethan avec Oncle Terry et Dylan, sur un circuit adapté à son âge bien sûr. Mes autres sœurs devaient être de la partie aussi mais elles avaient fini par annuler plus ou moins à la dernière minute. Dans la nature, nous n'avons rien remarqué, mais dès qu'on est revenu à la "civilisation", on a vite compris que c'était la merde… On a perdu oncle Terry dès le premier jour. Le comble pour ce pro de la survie… Même si je reste dans l'idée que rien ne pouvait vraiment nous préparer à ce genre de chose. C'est arrivée alors qu'on était pris dans les embouteillages sur l'autoroute en direction de Portland, la plus grande ville la plus proche d'où on était à ce moment-là, et que des affamés – c’est comme ça qu’on a rapidement appelé ces créatures - sont arrivés à notre niveau. Avec Dylan et Ethan, on a commencé à fuir, avec quelques autres survivants de cette attaque. Assez vite et plus ou moins naturel, on est devenu un groupe. Nomade et dans une belle galère, mais un groupe quand même. Si certains voulaient qu'on se dirige vers Portland, la grande ville la plus proche, à la recherche d'un refuge du gouvernement ou quelque chose de ce genre. Mais avec Dylan et quelques autres sceptiques du groupe, on sentait que c'était le pire plan possible en vrai.

On a erré comme ça pendant plusieurs mois avec ce groupe, un peu à cheval entre l'état de Washington et celui de l'Oregon. Avec tout ce bordel, ce n'est pas vraiment comme si on faisait attention aux frontières entre les différents états. On a subi des pertes bien sûr, croiser d'autres survivants, qui se sont joints ou pas à nous selon les situations, et on a fait ce qu'on pouvait ou ce qu'on devait faire pour survivre… J'avais réussi à mettre la main sur un arc dans l'arrière-boutique d'un magasin de sports qu'on a fouillé pendant notre petite errance. Pour ne pas dire piller. Et il faut bien avouer que les connaissances qu'on avait Dylan et moi grâce à notre oncle nous ont plus que bien servi. Surtout à l'arrivée de l'automne. Et avec l'arrivée prochaine de l'hiver, on était tous d'accord sur le fait qu'il fallait qu'on se trouve un abri sûr, qu'on puisse se poser un peu au lieu de continuer d'errer sans but comme ça. Cet abri, on a fini par le trouver dans une caserne de pompiers près d'une petite ville du nom de Banks, dans l'Oregon. On s'était assurée de bien nettoyer les lieux des affamés présents, puis de barricader comme il fallait le bâtiment pour le sécuriser au mieux. Ce n'était peut-être pas l'idéal mais après des mois dans la nature, ça ressemblait quand même presque à un putain de luxe les premiers temps. Dylan et un autre gars du groupe avaient fait en sorte de tenir le seul camion de pompier encore présent dans la caserne suffisamment en bon état de marche pour qu'on puisse l'utiliser comme moyen de fuite si jamais les choses tournaient mal ici. On a réussi à rester là tout l'hiver mais aussi une partie du printemps suivant, s'étant plutôt bien installés pour le coup. Mais effectivement, les choses ont fini par mal tournés vers la fin du mois de mars 2018 - si on pouvait se fier au décompte que faisait une membre de notre groupe. Un autre gamin du groupe - car oui, Ethan n'était pas le seul - avait pris l'habitude de jouer au pompier dans le camion. Jusque-là, rien de bien méchant. Sauf qu'un jour en cette fin de mois de mars, il a voulu jouer à celui qui conduit le camion ! Alors non, il ne l'a pas envoyé se crasher dans le rideau métallique tenant lieu de portail mais disons que dans son jeu et en touchant à tout… Il avait réussi à allumer les sirènes du camion ! Le temps qu'on comprenne d'où ce boucan venait et que quelqu'un arrive à trouver comment arrêter ces sirènes infernales, il était déjà trop tard pour espérer ne pas avoir alerté tous les affamés du coin ! Ouais, superbe ironie du soir, c'était notre moyen de fuite "au cas où" qui venait de joyeusement nous foutre dans la merde… Et ce qui devait arriver arriva, malgré nos tentatives de réduire au maximum les affamés s'agglutinant autour du bâtiment : le rideau métallique du garage finit par céder. Et peu après, la caserne n'était plus tenable et il fallut qu'on s'échappe de là si on voulait rester en vie. Même si dans la fuite, on perdit encore deux membres du groupe…

Après ça, nous étions de retour sur la route, dans la nature. Il ne fallut pas longtemps pour qu'on reprenne les habitudes qu'on avait eu avant la caserne pour s'assurer de la survie de tout le monde dans le groupe. C'est aussi durant cette époque que je tuai pour la première fois un vivant… Un membre d'un groupe de pillards qui tenta de s'en prendre à notre groupe, présence d'enfants parmi nous ou non. Si sur le coup, je fis comme si cela ne m'affectait pas, aujourd'hui encore, il m'arrive de revoir son visage alors que ma flèche se plantait dans son œil droit et que la vie quittait celui de gauche… Ethan tua également son premier affamé dans ce laps de temps, avec une hachette de pompier qu'on avait prise à la caserne de Banks. C'était pour protéger sa tante, et j'étais fière de ça. Tout comme j'étais fière de voir que là encore, il savait se montrer débrouillard, qu'il s'adaptait parfaitement à tout ça et qu'il retenait tout ce qu'on lui disait et apprenait pour survivre. Mais d'un autre côté, je m'en voulais aussi énormément. Je m'en voulais de ne pas pouvoir préserver plus longtemps que cela son innocence d'enfant rêveur, de ne pas pouvoir lui offrir l'enfance que nous avions connu Dylan et moi, de ne pas pouvoir l'éloigner de ce qu'était devenu ce monde…

Ce n'est que vers le milieu de l'été 2018 que lors d'une expédition de fouilles de maisons et magasins, notre groupe tomba sur des membres d'une autre communauté. On était près de la ville de Warrenton, toujours dans l'Oregon, et ils nous expliquèrent être installés dans un hôtel qu'ils avaient sécurisés, au nord de la ville, et qu'ils cherchaient à recruter des gens pour agrandir leur communauté. C'était sans doute parce qu'en plus d'Ethan, il y avait deux autres enfants parmi nous qu’ils nous firent suffisamment confiance pour nous proposer de les rejoindre si facilement… Mais oui, nous étions avec des enfants, nous étions épuisés et puis on espérait tous retrouvés quelque chose comme on avait pu avoir à la caserne. Alors on accepta de se joindre à eux… Ce fut là-bas que je finis par troquer mon arc classique pour un arc en poulie, leur pseudo armurerie en ayant un qu'ils avaient trouvé je ne sais où mais qui prenait la poussière. Dylan, Ethan et moi avions assez vite trouvé notre place dans cette communauté. Tout comme les autres membres de notre ancien groupe d'ailleurs. Dylan se faisait même ouvertement draguer par le fils du chef de cette communauté, qui devait avoir un ou deux ans de plus qu'elle. Et même si je n'arrêtais pas de la charrier à propos de ça, mon côté grande sœur trouvait quand même que ce type était un peu trop insistant et lourd avec ma sœur. J'essayais vraiment de mettre ça sur le compte de mon côté grande sœur protectrice, vraiment… Puis l'impensable se produisit alors que cela devait faire 2 mois et demi à peine que nous étions là.

J'étais affectée aux expéditions pour les fouilles et la chasse, et ça m'allait très bien. Même s'il y avait de la place encore disponible dans d'autres chambres de l'étage où on s'était installé, Dylan, Ethan et moi partagions la même chambre. Je revenais donc d'une de ces expéditions, c'était le début de la soirée de mémoire, et en entrant dans la chambre qu'on occupait tous les 3, mon sang n'a fait qu'un tour et j'ai presque aussitôt vu rouge. Deux gars de la communauté étaient en train de passer à tabac mon fils dans un coin de la chambre pendant qu'un autre tentait de violer ma sœur. Est-ce que j'ai réagi de manière excessive en tirant immédiatement une flèche dans le torse du type en train de s'en prendre à Dylan avant de planter une flèche dans la gorge d'un de ceux qui attaquait mon fils quelques secondes auparavant puis dans la cuisse du deuxième ? Peut-être, je le reconnais… Mais d'un autre côté, quand tu ressens le besoin de t'y mettre à deux de plus de 25 ans pour passer à tabac un gamin de 11 ans pendant que ton pote essaye d’agresser une autre nana, je doute qu'un simple "est-ce que vous pouvez arrêter ça s'il vous plait ?" suffise pour qu'ils le fassent. Et sans réelle surprise avec le recul, il s'avère que celui qui avait tenté d'agresser ma sœur n'était autre que le fils du chef. Pour les conséquences et la faire en rapide, j'ai eu le droit à un simulacre de "procès" mené par le dirigeant de la communauté. Et mon bannissement de la communauté fut acté en moins de 30 minutes. Même si de toute façon, je me serais tirée de moi-même plutôt que rester dans une communauté qui cautionnait ce que ces types avaient essayé de faire sous le simple prétexte que le meneur du groupe était le fils du chef. Car oui, durant mon pseudo procès, personne n’a parlé de ça bien sûr… Et alors que je m'attendais à avoir à me casser seule avec mon fils et ma sœur, en réalité, c'est tout notre ancien groupe qui a fait le choix de nous suivre à ce moment-là. Une chose pour laquelle je n'ai jamais su les remercier assez.

Nous étions donc encore une fois de retour sur la route alors que l'automne 2018 commençait. Pas de caserne comme refuge pour l'hiver cette fois. Mais on était de retour dans l'état de Washington quand même, après la traversée du pont d'Astoria. Si certains espéraient qu'on retrouve assez vite une communauté ou un camp sécurisé, Ethan, Dylan et moi n'étions clairement pas des plus chauds pour ça. Vu comment ça s'était passé la dernière fois, on restait encore un peu plus méfiants par rapport aux autres vivants désormais. Et le pire étant Ethan qui avait encore plusieurs bleus en cours de résorption suite à toute cette histoire. De toute façon, on ne trouva pas d'autres communautés comme celle de Warrenton. Alors on passait d'une maison qu'on sécurisait à une autre, changeant tous les 3 ou 4 jours. Et puis, au mois de février de 2019, si les comptes étaient bons, c'est encore parti en vrille alors que tout allait plus ou moins bien. Enfin aussi bien possible dans un monde de ce genre en tout cas. On était dans les alentours de la ville d'Ellensburg, j'étais partie chasser pour le groupe, comme je le faisais régulièrement, et Ethan avait voulu m'accompagner ce matin-là. Mais au moment de revenir à la maison qu'on occupait avec le reste du groupe et Dylan, les seuls occupants qu'on y a trouvé était une dizaine d'affamés… Si rien ne prouvait que le groupe ait subi des pertes pendant notre absence et cette invasion, j'étais quand même incapable d'identifier une piste lisible pour essayer de les retrouver. On a bien tenté de le faire quand même avec Ethan, me disant qu'en plus de ça, Dylan tenterait sans doute de faire la même chose pour nous de son côté mais ce n'est pas du tout sur eux que j'ai fini par tomber le troisième jour. C'était sur une jeune femme dans un piteuse état, faut bien le reconnaitre, et un gamin de 2 ou 3 ans à peine. Et vu comme l'autre femme semblait totalement perdue par rapport à ce gosse, il était évident que ce n'était ni le sien ni un de sa famille…  

Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai aidé Ash, enfin Erin, à se soigner et à gérer "Petit Sam" pendant sa guérison. Et surtout pourquoi on est resté ensemble une fois qu'elle allait mieux alors que cela ne semblait dans les plans d'aucune de nous deux. Sans doute le fait qu'on savait inconsciemment l'une et l'autre que le nombre fait la force dans ce genre de cette situation. Mais ouais, on a fini par continuer de survivre ensemble et rapidement trouver un rythme de fonctionnement et une certaine dynamique elle et moi. Une dynamique bien à nous pourtant il faut bien l'avouer étant donné qu'on passe la moitié du temps à s'engueuler pour tout et n'importe quoi alors qu'à côté de ça, on connait presque les manies et petites habitudes de l'autre par cœur. Bon, en vrai, on se chamaille plus qu'on ne se dispute mais vous voyez l'idée. Et même si je ne lui ai jamais dit, elle me fait très souvent penser à ma sœur Addie. Même Ethan l'a bien adopté et ça, malgré sa méfiance envers les autres depuis Warrenton et la méfiance d'Erin envers nous au départ aussi. On apprend aussi pas mal l'une de l'autre quand on peut, même si elle est toujours aussi catastrophique au tir à l'arc et qu'elle continue de me mettre de sacrées dérouillées en combat à mains nues. Et pour Sam et sa nouvelle responsabilité de parent par défaut et bien je réalise un peu plus chaque jour combien je suis bien la fille de ma mère. Tout simplement parce que j'agis avec Erin comme elle faisait avec moi quand ça concernait Ethan : donner des conseils de façon calme, posée et constructive, jamais dans le jugement ou de manière condescendante. Et de cette façon de faire qui donne parfois l'impression que l'idée vient d'elle et non de moi. Mais en tout cas, ça semble bien marcher étant donné qu'elle est bien plus confiante dans son rôle vis-à-vis de Sam que lorsque je l'ai rencontré. Et puis bon, comme le petit semble avoir décidé de prendre Ethan pour modèle, ça nous aide pas mal elle et moi parfois.

On a fait notre petite vie dans la nature comme ça pendant plusieurs mois tous les 4. J'avais fini par abandonner l'idée de retrouver mon groupe et ma sœur depuis, même si ça continue de me travailler régulièrement. Mais comme pour beaucoup de chose, je le garde pour moi, même si je soupçonne Ethan de l'avoir compris depuis un moment et d'être plus ou moins comme moi à ce sujet. Désormais, c'était Sam et Erin notre groupe. Un groupe réduit c'est vrai mais qui marchait bien quand même. Et un peu après le début de l'été je dirais, je me suis bien blessée pendant la fouille d'une grange abandonnée. Je suis passée à travers le plancher - pourri - de la mezzanine et dans la chute, je ne sais pas si c'était avec un clou qui dépassait, un vieil outil laisser à l'abandon, un bout du plancher ou quoi, mais en tout cas, je m'étais bien entaillée la cuisse gauche sur une dizaine de centimètre de long. Bien sûr, moi et ma fierté mal placée parfois avions commencé à dire à Erin que ce n’était rien, ce n'était que superficiel. Mon œil que ce n'était que superficiel ! En quelques jours même pas, ça s'était salement infectée et ma blessure avait vraiment une sale gueule. A contrecœur, Erin et moi avons fini par nous mettre d'accord qu'il fallait qu'on aille voir la communauté dont deux autres survivants nous avaient parlé quelques jours plus tôt, et pas loin d'où on était. On avait sauvé leur peau d'un sacré mauvais pas et ils nous avaient proposé de les rejoindre à ce moment-là mais visiblement, Erin avait elle aussi une sale expérience des communautés. Mais là, force était d'admettre qu'on n'avait pas vraiment le choix si on voulait que j'aille mieux. Et aujourd’hui encore, j’en garde une sale cicatrice pas belle du tout.

Cette communauté était installée dans un camping qu'ils avaient sécurisé, pas loin de Silverdale. On s'était dit qu'on y resterait que quelques jours, le temps que j'aille mieux, et qu'on repartirait… Mais les quelques jours sont devenus quelques semaines, puis quelques mois. Les membres de cette communauté savaient dès le départ qu'on ne comptait pas rester, qu'on était méchamment sur nos gardes presque à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, tant par rapport aux affamés qu'aux vivants. Mais loin de nous juger par rapport à ça, ils nous ont laissé le temps. Le temps et l'espace aussi, pour qu'on se sente à notre place et suffisamment en sécurité parmi eux. On partageait le même bungalow tous les 4, même s'ils nous en avaient proposé un chacune au départ. Mais il faut croire qu'on avait tellement fini par s'habituer à survivre tous les 4 qu'on n'envisageait même pas de pouvoir réellement être en sécurité si on nous séparait. Et même une fois que ça allait mieux et bien, on avait pris nos habitudes alors pourquoi changer ? En tout cas, le reste de la communauté nous a rapidement trouvé du boulot à toutes les deux. Erin à l'infirmerie et moi, sans surprise, au ravitaillement comme ils disaient. Mais étrangement, ça nous allait. Et puis on pouvait un peu se reposer plus tranquillement la nuit, sans avoir à alterner les tours de garde alors forcément…

Et plusieurs mois plus tard, on a fait la connaissance des Williamson, nos nouveaux "voisins" de bungalow si on peut dire. Connor, un mec qui s'était visiblement mis en tête que me faire rire serait le nouveau but de sa vie, et sa femme, enceinte jusqu'aux yeux et aussi chiante qu'on puisse imaginer une femme enceinte, Rebekah. Sans trop de surprise, ce sont Connor et Erin qui ont plus facilement accroché que le reste dans cette équation. Je n'avais rien contre eux, bien sûr ! Même si Connor me donnait parfois envie de l'assommer pour qu'il arrête avec ses blagues lourdes et nazes – auxquelles pourtant je suis sûre que j’aurais ri avant tout ça -, et que Rebekah était…. Rebekah quoi. Clairement, dans ma vie d'avant, ça aurait été le genre de femmes que j'aurais vite fait en sorte de sortir de ma vie. Mais dans cette vie-là, même si on ne s'entend pas forcément tout le temps, on sait parfaitement reconnaître les compétences et talents de l'autre par rapport à la survie. Après, en toute honnêteté, ce n'est clairement pas la femme à qui j'aurais confié la vie de mon fils sans réfléchir, loin de là même. Mais j'étais quand même là le jour où elle a accouché. Par pur hasard, je l'avoue tout de suite ! De base, je voulais simplement voir Erin à cause d'une potentiellement cheville blessée durant la mission de ravitaillement de laquelle je rentrais. Mais quand je suis entrée dans l'infirmerie, Rebekah était déjà en train de gueuler qu'elle voulait une péridurale et d'insulter Connor. Et je n'ai pas eu le temps de faire demi-tour l'air de rien qu'Erin m'avait déjà désigné pour l'aider sous prétexte que j'avais déjà accouché moi aussi… Genre parce qu'on a déjà accouché, ça y est, on est sage-femme ?!

Plusieurs mois passèrent encore et puis, comme à chaque fois qu'on pense en avoir enfin fini avec les emmerdes dans ce "nouveau monde", il trouve un moyen de nous rappeler que non… Un con qui pensait mieux savoir mieux que tout le monde, qu’il serait meilleur leader que celui en place dans cette communauté, un coup d'état qui part en vrille et voilà que ce camp aussi tombait. Mais on n'a pas vraiment réfléchi longtemps avec Erin, attrapant nos sacs, les gamins, un max d'affaires indispensables, et en mettant rapidement les voiles. Sur le chemin de la fuite, on a croisé les Williamson et leur petite Elisa - logique me direz-vous vu qu'on était voisins - et sans vraiment avoir besoin de parler ou de réfléchir, on a fui ensemble. Même si on a vite réalisé une fois un peu plus au calme que Connor ne s'en était pas sorti indemne, s'étant fait mordre dans la fuite. Je l’entends encore me demander d'aider Rebekah avec leur fille, qu'Ethan t un gosse vraiment super et qu'il espérait que sa fille pourrait être pareil un jour. Et que comme j'avais élevé mon fils seule, sans son père, comme allait devoir le faire Rebekah, j'étais la mieux placer pour lui filer ce coup de main selon lui… Comme si je pouvais décemment l'abandonner, leur bébé et elle malgré nos différences de caractère !  

Et encore une fois, comme un éternel recommencement, nous étions sur la route, dans la nature, seules. Si je n'avais absolument pas vu venir ce trio improbable que nous étions, il faut dire qu'après quelques temps d'adaptation, ça marchait plutôt bien. Avec Erin, les habitudes sont vites revenues mais avec Rebekah… Et bien j'ai découvert une autre femme que la tête à claques insupportable que je pensais qu'elle était au camping. Bon, elle reste chiante et je n'ai jamais hésité à le lui dire, mais elle ne se limite plus juste à ça maintenant pour moi. Et aujourd'hui, oui, je serais capable de mettre la vie d'Ethan entre ses mains sans hésiter. Même si j'avoue que je préfère quand même éviter d'en arriver là parce que ça voudrait dire qu'on s'est foutue dans une sacrée merde. Et au bout d'un moment, j'ai fini par proposer aux filles de rejoindre l'île de Vancouver, de l'autre côté de la baie. Je la connaissais un peu pour y avoir déjà été une fois ou deux quand j'étais ado mais surtout pour l'avoir souvent vu sur les cartes, à la télévision locale ou ce genre de chose vu que même si j'étais à Seattle donc de l'autre côté de la frontière, elle n'était pas loin. L'île était suffisamment grande pour qu'on puisse trouver assez facilement de quoi survivre mais ça restait une ile. Et jusqu'à maintenant, je n'ai jamais vu d'affamés taper un crawl ou même faire la nage du petit chien. Ce début de plan validé par les deux autres, on a continué de marcher un peu le long de la côte, à la recherche d'une maison avec un bateau à moteur pas loin. On a fini par trouver ce qu'on cherchait vers Joyce, ainsi qu'une maison pouvant nous abriter le temps de nous préparer correctement à la traversée. S'assurer que le bateau était en bon état, rassembler suffisamment d'essence pour pas se retrouver à sec au milieu de la baie, s'assurer du beau temps pour avoir une bonne vue sur l'île et la direction à prendre, ce genre de chose. Et après un moment, on a fini par se lancer et la faire, cette foutue traversée… Et on a réussi à la faire en plus, pratiquement sans souci et même presque sans engueulade.

On avait débarqué près d'une ville du nom de Sooke et on a recommencé à errer un peu sur l'île. Puis on a croisé d'autres survivants qui nous demandaient si on allait au port… Ils ont vite compris qu'on ne voyait absolument pas de quoi ils nous parlaient et nous ont rapidement parler du marché près du port et de la communité qui occupe cette zone. The Empress, un groupe de survivants vivant sur un ancien paquebot de croisière du même nom à quai et qui semble suffisamment bien organisé et cadré pour pouvoir gérer un marché ouvert à tous dans une partie du port… Je dois bien avouer que je n'étais pas spécialement chaude à l'idée de retourner encore une fois dans une communauté. Même s'il y avait de sacrés avantages, je dois aussi le reconnaître, j'avais un peu l'impression que c'était quand même un éternel recommencement, que cela ne durait que quelques mois puis, hop, un truc partait en vrille et tout s'effondrait. Mais on était épuisée. Et puis avec Elisa, âgée de quelques mois à peine, il fallait qu'on trouve un endroit à l'abri et sûr. Alors oui, après une bonne discussion entre nous trois, on a décidé avec Erin et Rebekah de tenter notre chance avec eux et voir ce que ça pouvait donner. On n'avait pas vraiment quelque chose de matériel et immédiat à offrir mais on se disait qu'avec Rebekah plaidant notre cause, on pourrait quand même négocier l'occasion de leur prouver notre valeur ou quelque chose comme ça… Ouais, à ce moment-là, je ne savais que ce serait exactement ce qu'ils nous demanderaient de faire, en lien avec leurs règles et leur fonctionnement. Et bien dans ce cas, si tout le monde est d'accord, partons de nouveau en mission… En espérant que je ne vais pas encore traverser un plancher de mezzanine pourri pour ce coup-là.